CRDS: des changements s’imposent, des projets s’en viennent

Six ans après sa mise en place, le CRDS fait globalement l’unanimité contre lui. Censés fluidifier les échanges et la collaboration entre la première et la deuxième ligne, ces guichets connaissent de nombreux ratés. Outre les délais pour obtenir une consultation en spécialité, qui se sont allongés comme l’a récemment rapporté ProfessionSanté.ca, les cliniciens qui les utilisent en sont mécontents, pour ne pas dire désabusés. La Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) a ainsi fait un «enjeu prioritaire» de ce «monstre à simplifier». La Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) ne veut quant à elle «pas taper sur le CRDS, ni jeter le bébé avec l’eau du bain», mais elle veut sérieusement l’améliorer. Du côté des omnipraticiens, les récriminations sont nombreuses, les délais non respectés figurant en tête de liste. «Les délais pour les cas de priorités D et E [3 à 12 mois, NDLR] sont largement dépassés. Les risques de mise en danger de la santé de ces patients sont bas, mais leur condition peut être incommodante et nécessiter plus de suivis de la part du médecin de famille. On parle de trois ou quatre visites par an, sans grande valeur ajoutée, qui, une fois multipliées par le nombre de patients, finissent par faire un gros morceau», indique la directrice de la planification et de la régionalisation à la FMOQ, la Dre Anne-Louise Boucher. Lire aussi: Les cibles de délais de consultations ratées dans la plupart des spécialités Sondés dernièrement sur leurs irritants, les membres de la Fédération ont placé «la procédure laborieuse du CRDS» au deuxième rang, juste derrière «les rapports illisibles des spécialistes». Les omnipraticiens déplorent notamment la gestion des prérequis exigés à la consultation et aspirent à un meilleur partage des responsabilités. «Quand le patient n’a pas passé sa radio du genou, on nous retourne le bébé alors que le prescripteur, c’est le spécialiste. Leur secrétaire ou les adjoints des CRDS pourraient s’impliquer davantage et faire eux-mêmes ces suivis», suggère la Dre Sophie Carrière, qui participe au comité des irritants formé par la FMOQ. Ses pairs veulent également éliminer les requêtes de «nouvelle demande de consultation» lorsque le spécialiste suit déjà le patient et éviter que les CRDS ne changent arbitrairement le code de priorité des requêtes. Ils aimeraient aussi que leurs demandes soient acheminées vers un autre CRDS en cas de non-disponibilité dans leur région et que le transfert des patients d’un spécialiste à un autre se fasse sans leur intervention. Enfin, ils souhaitent pouvoir faire un suivi en temps réel de la requête, à même le dossier médical électronique (DME) du patient. «On a vraiment besoin d’un tableau bord», opine la Dre Boucher. «Les patients nous rappellent souvent, mais eux comme nous sommes dans le néant.» Lire aussi: La télédermatologie sera disponible dans tout le Québec cet été CRDS 2.0 Du côté des médecins spécialistes, on reconnaît que les omnipraticiens ont des «points valides». S’agissant des délais non respectés, le directeur des affaires professionnelles de la FMSQ, le Dr Rafik Ghali, explique néanmoins qu’il s’agit «avant tout d’un enjeu d’accès aux plateaux techniques. Il manque par exemple de personnel pour effectuer des coloscopies ou des angiographies, alors les retards s’accumulent». Pour les prérequis, le chirurgien vasculaire estime que ce n’est pas au spécialiste de prescrire des examens. «Notre rôle, c’est de prendre en charge les patients, pas de gérer les préalables à une visite.» Ceci dit, les spécialistes ont eux aussi leur lot de critiques envers le CRDS, dont ils espèrent «une version 2.0». Outre les demandes incomplètes ou trop générales, les demandes en double ou en triple, ils reprochent aux outils informatiques d’être trop rigides. «Les requêtes prennent beaucoup de temps à modifier, il y a plusieurs étapes à franchir. Il n’y a pas non plus d’interaction possible avec les omnipraticiens pour compléter une demande. Soit la requête est refusée et elle leur est renvoyée, soit le patient est reversé dans une autre liste», signale le Dr Ghali, qui constate que «le CRDS a complexifié la relation avec la première ligne alors qu’il devait la faciliter». Lire aussi: Former les patients au bénéfice des spécialistes Professeure adjointe au département des sciences de la santé communautaire de l’Université de Sherbrooke, Marie Beauséjour collabore au Réseau-1 Québec, un réseau de recherche et de connaissances sur les pratiques en première ligne. Ses travaux portent sur l’accès priorisé aux services spécialisés, autrement dit sur le CRDS. «Dans la littérature scientifique, comme en pratique au Québec, ce modèle favorise l’équité d’accès à la médecine de spécialité et contribue à réduire les délais pour les cas urgents grâce à des mécanismes de priorisation harmonisés», observe la chercheuse. Elle souligne que les données colligées par les CRDS fournissent de plus un portrait quantitatif et qualificatif de la demande de soins, par spécialité et par région, ce qui est bien utile pour ajuster l’offre de services en conséquence. Mais pour qu’ils fonctionnent, «ces outils doivent faire l’objet d’un suivi rapproché et d’un processus d’amélioration continue». Ce qui n’a pas été nécessairement le cas, notamment durant la pandémie. Un nouveau prescripteur électronique Au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), on est conscient des enjeux soulevés par les omnipraticiens et les spécialistes et on y souscrit «sans vouloir jeter la pierre aux uns ou autres», souligne le directeur général adjoint de l’accès, des services de proximité et des effectifs médicaux, le Dr Martin Forgues. Celui qui a orchestré le déploiement du CRDS convient que sa mécanique doit être améliorée. «Il y a des progrès à faire sur le plan technologique. Les médecins ont besoin d’outils facilitants», affirme-t-il en signalant que certains des 14 guichets ne sont pas encore informatisés et qu’ils ont, dans l'ensemble, besoin d’être harmonisés et synchronisés. Le MSSS a ainsi lancé un projet-pilote au Saguenay et en Montérégie afin de tester un nouveau prescripteur électronique qui sera intégré aux DME des omnipraticiens. «Il va simplifier leurs tâches et les accompagner pour s’assurer que leurs demandes de consultation soient complètes et transmises au bon spécialiste qui recevra une requête clé en main, conforme, avec tous les prérequis nécessaires», indique le Dr Forgues en précisant que ce prescripteur intégrera un système de traçabilité des demandes et de rétroaction avec les spécialistes. Pour ces derniers, il souhaite connecter leurs DME aux CDRS pour faciliter la prise de rendez-vous. «Aujourd’hui, leur offre de services est saisie à la mitaine. Ça prend un temps humain incroyable pour faire ce travail-là», souligne le directeur adjoint avant de préciser sa vision. «Ce qu’on fait actuellement en première ligne avec les GAP [les guichets d’accès à la première ligne, NDLR] et l’orchestrateur, on veut le répliquer en deuxième ligne, avec un support informatique efficace qui éliminera les irritants», résume le gestionnaire. S’agissant de la gouvernance locale des 14 CRDS, le MSSS veut également la revoir. «Certaines régions sont proactives et on voit de suite la différence», souligne Martin Forgues qui souhaite «équilibrer tout ça» en laissant de la latitude aux guichets pour s’adapter aux réalités régionales. Pour Marie Beauséjour, cette question-là irrite particulièrement les médecins de famille. «Ils ont le sentiment de ne pas avoir été associés à la mise en place du programme et qu’ils ne sont pas impliqués dans sa gestion», observe la chercheuse qui soulève également l’enjeu de l’adhésion aux CRDS. «C’est un élément central, estime-t-elle. Le programme n’est pas obligatoire, donc on n'a qu’une vision partielle de l’offre de services des spécialistes.» Toutefois, cette obligation n’est pas dans les cartons du MSSS. Martin Forgues «préfère être en mode séduction et mettre de l’avant de nouvelles fonctionnalités pour susciter l’adhésion des médecins».

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