Côte-Nord: 1300 km de côtes à (dé)couvrir

Pour faire découvrir la pharmacie en établissement et en région, «Il n’y a pas une seule solution, mais un ensemble de pistes», souligne Dave Charlton, pharmacien et chef du département de pharmacie du CISSS de la Côte-Nord. Les stages constituent l’un des outils de choix pour y parvenir. La pratique diversifiée dans les hôpitaux en région en fait d’ailleurs d’excellents milieux d’apprentissage, et ceux de Baie-Comeau et de Sept-Îles accueillent des jeunes pour des stages (de 1er cycle, mais également de 2e cycle, pour une rotation de 4 semaines dans certains secteurs) ou des emplois d’été. «On veut semer une graine», mentionne Dave Charlton.Dans ces hôpitaux régionaux, peu de médecins spécialistes sont présents. Les médecins omnipraticiens se tournent donc davantage vers les pharmaciens pour solliciter leur opinion clinique dans différents champs d’expertise. «On doit être très polyvalent, particulièrement en région éloignée. On peut passer dans une même journée de la pédiatrie à la gériatrie, en passant par l’oncologie», décrit Marie Lou Deschamps, pharmacienne à l’Hôpital de Sept-Îles.Découvrir, c’est l’adopterC’est d’ailleurs ainsi qu’on réussit à attirer de jeunes pharmaciens sur la Côte-Nord, comme Hugo Ricignuolo, qui agit maintenant comme un véritable ambassadeur pour la région et la profession. Natif de Terrebonne, il a choisi de s’établir avec sa conjointe à Baie-Comeau, une ville dont la taille et la proximité avec la nature leur offraient une qualité de vie et l’accès à une diversité des activités autant culturelles que sportives. Alors à la maîtrise en pharmacothérapie avancée, il a fait partie de la première cohorte du stage optionnel en milieu non universitaire, qu’il a justement complété à Baie-Comeau. Son expérience l’a enchanté. « J’aime l’aspect général de la pratique. Dans les grands centres, les gens se spécialisent beaucoup, alors qu’ici on doit pouvoir se débrouiller dans tous les domaines », explique Hugo Ricignuolo. L’hôpital de Royer reste tout de même de taille importante, et permet des soins avancés. «C’est un mythe que dans les régions les patients ne sont pas “intéressants”», affirme le jeune pharmacien. Grâce à ses plateaux techniques, la présence de médecins spécialistes, et une grande collégialité, les pharmaciens en établissement ont une pratique équilibrée à Baie-Comeau, croit-il. Un milieu tissé serréC’est aussi un stage de quatre semaines en Gaspésie qui a éveillé l’intérêt de Marie Lou Deschamps, originaire de Montréal, à s’établir en région. Celle-ci a intégré depuis quatre ans l’équipe de Sept-Îles. «On est 10 pharmaciens en ce moment, mais la situation est toujours un peu précaire, avec les congés et les départs à la retraite…», énumère-t-elle. La pharmacienne s’apprête d’ailleurs elle-même à prendre un congé de maternité. La proximité avec ses collègues et les autres professionnels de l’hôpital, mais aussi celle avec les patients, est un élément qu’elle apprécie beaucoup. « Surtout dans les secteurs comme la longue durée, les CHSLD et l’oncologie, on a souvent l’occasion de rencontrer les patients à tous leurs traitements, d’établir un lien privilégié à de développer un bon lien de confiance », indique-t-elle. Les pharmaciens sont également souvent inclus dans les projets et sollicités pour s’impliquer auprès de comités, ou encore pour encadrer des stagiaires.«Il y a aussi beaucoup de place pour innover, développer des choses», fait valoir Dave Charlton. Hugo Ricignuolo souhaiterait d’ailleurs développer davantage la pratique en psychiatrie. «Je vois les besoins qu’ils ont. On pourrait passer la journée là, mais faute de bras, on n’y a que sur demande», raconte-t-il. Plutôt que d’agir en réaction et en réponse aux besoins ponctuels de l’unité, le pharmacien souhaiterait pouvoir davantage agir en prévention et au cœur des plans de soins. Malgré ces défis, Hugo et Marie Lou sont enchantés de leurs décisions, et appellent les autres à envisager la pratique en région qu’ils trouvent stimulante.Rendre la pratique plus attrayanteDe multiples pistes doivent être envisagées pour rendre la pratique en établissement et en région plus attrayante : majoration des bourses de la maîtrise, embauche des étudiants durant leur maîtrise, stage en établissement plus tôt dans la formation et mise en place d’un stage obligatoire en région. «Il faut aller plus loin, la compétition avec le secteur privé est tellement forte, remarque Linda Vaillant, directrice générale de l’Association des pharmaciens des établissements de santé du Québec. Le ministère de la Santé, comme principal employeur, devrait aussi faire la promotion de la profession, et de la valeur de la maîtrise».Comme les jeunes des régions forment un bassin de candidats intéressants, «On devrait favoriser l’accès équitable des jeunes de régions aux programmes de pharmacie, en bonifiant leur cote R, comme c’est déjà le cas dans d’autres programmes contingentés», croit Dave Charlton, lui-même originaire de Fermont. Tout comme les médecins, les pharmaciens ont des bonifications de salaire lorsqu’ils s’établissent en région éloignée. Même si cette bonification n’est pas suffisante à elle seule, «je pense que ça a permis de maintenir des gens à postes et aidé à conserver une base de personnel», croit le gestionnaire. D’autres outils devraient être mis à la disposition des régions: des postes réseau, où les employés partageraient leur temps entre la Côte-Nord et Québec, ou encore partagés à même la région sont des solutions évoquées. «Parfois, les jeunes veulent une pratique avancée, ce qui n’est pas possible dans les petits milieux; ils pourraient ainsi goûter aux deux», explique François Paradis, chef du Département de pharmacie de l’Hôpital régional de Rimouski et du CISSS du Bas-Saint-Laurent.Une autre piste serait que les pharmaciens en établissement soient considérés comme des spécialistes. «Un titre de spécialiste et une plus grande autonomie doivent être accordés aux pharmaciens diplômés [de la maîtrise]», revendique d’ailleurs l’APES. Comme c’est aujourd’hui le cas pour les infirmières praticiennes spécialisées, «On pourrait suivre la clientèle de façon plus autonome, ce qui serait attractif», croit Dave Charlton.Ce reportage a été rendu possible grâce aux bourses d’excellence de l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ).

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