Conditions de travail déplorables en pharmacie: un documentaire en préparation

Anaïs Webster Mennuti (Pharm. D.) travaille dans le système hospitalier de l'Oregon, mais au cours d'une période de deux ans passée à travailler au noir dans une pharmacie de détail pendant la pandémie, elle a ouvert les yeux sur ce qu'elle décrit comme un environnement de travail «intenable» et «non sécuritaire» mettant en danger à la fois le personnel de la pharmacie et les patients. S'appuyant sur un mouvement national croissant visant à sensibiliser à ce qu'elle nomme comme la «Fast foodification» de la pharmacie, Mme Mennuti s'est associée à un producteur et à un directeur de la photographie pour réaliser un documentaire qui lèvera le voile sur les dysfonctionnements et pourrait conduire à des changements positifs dans le secteur. Ce projet n'est que le dernier en date d'une vague de campagnes de sensibilisation dénonçant les conditions de travail fondées sur des objectifs et des quotas difficiles à atteindre, qui affectent gravement la main-d'œuvre pharmaceutique aux États-Unis. Les pharmaciens, les techniciens en pharmacie et les autres membres de l'équipe travaillant pour de grandes pharmacies de détail ont tiré la sonnette d'alarme bien avant le début de la pandémie, avertissant que l'accent mis par les pharmacies de détail sur le respect des objectifs de l'entreprise mettait le personnel sous pression et augmentait le risque de préjudice grave pour les patients. Le système de remboursement des pharmacies américaines repose principalement sur les payeurs privés – qui imposent des prix de plus en plus bas afin de maintenir leurs marges bénéficiaires – et sur un secteur public de santé en difficulté qui a réduit les marges et les honoraires afin d'étendre la couverture des médicaments promise dans le cadre du programme Medicare Part 2 de l'ancien président Obama. En raison de la diminution de leurs revenus provenant de la vente de médicaments sur ordonnance, les sociétés pharmaceutiques ont mis en place des quotas et des mesures afin de s'assurer que les volumes d'ordonnances et de services restent suffisamment élevés pour maintenir des niveaux de rentabilité. Parallèlement, les tiers payeurs, les gestionnaires de prestations pharmaceutiques (PBM), ont également redoublé de vigilance en multipliant les audits des pharmacies, en mettant en place des procédures de remboursement complexes et même en appliquant des réductions de remboursement rétroactives - des pratiques qui, après des années de plaintes de la part des pharmacies, font enfin l'objet d'une enquête du gouvernement fédéral. Pour compenser la perte de bénéfices des ventes de médicaments sur ordonnance, les pharmacies se concentrent sur les volumes de prescriptions et, plus récemment, sur les volumes d'autres services facturables tels que la vaccination et la révision de la médication. Le personnel des pharmacies est souvent mandaté pour «vendre» ces services supplémentaires aux clients. Le fait que la plus grande chaîne de pharmacies du pays possède également les trois plus grands PBM du pays ne fait qu'amplifier le problème. CVS Pharmacy est propriétaire d'Express Scripts, de CVS Caremark et d'OptumRx. Ainsi, non seulement la société distribue la plus grande partie des ordonnances du pays, mais elle contrôle également près de 80 % du marché américain des médicaments sur ordonnance. (CVS est également propriétaire d'Aetna Insurance.) Rite Aid possède le PBM Elixir, et Walgreens, qui compte plus de 13 000 pharmacies dans le monde, exploite également une importante activité de vente par correspondance. La pression à double tranchant exercée sur les coûts des ordonnances a également eu un impact sur les petites pharmacies de détail, qui dépendent de ces mêmes grands payeurs pour leurs revenus. Dans un système où les volumes élevés d'ordonnances et de services facturables sont les paramètres de mesure de la performance, le bien-être des pharmaciens et du personnel des officines écope. Les services de soins pharmaceutiques de base, tels que le counselling approfondi, l'examen des médicaments et le suivi des ordonnances, ont également été délaissés. Certains, comme Mme Menutti, décrivent la pharmacie de détail comme un environnement de «restauration rapide» dans lequel les performances du personnel sont évaluées en fonction du nombre de fois où il est capable (ou qu’on peut vérifier qu'il a essayé) de vendre aux clients qui viennent pour leurs médicament d’ordonnances d'autres services facturables. La situation est devenue critique à l’aube de la pandémie, lorsque le personnel des pharmacies, déjà épuisé par des années de travail dans des environnements axés sur les quotas, s'est vu confier des responsabilités supplémentaires d'une ampleur sans précédent. Des dizaines de milliers de pharmacies américaines ont ajouté des mesures de volume sur la vaccination et les tests COVID aux quotas de prescriptions et de services déjà intenables qu'elles s'efforçaient de remplir à chaque quart de travail. #pizzaisnotworking: le déjeuner ne compense pas le préjudice Sur les médias sociaux, et même dans la presse grand public, des rumeurs ont commencé à circuler dès le début de la pandémie, alors que les pharmaciens ont fait part de leur épuisement et du sentiment d'être poussés au-delà de leurs limites par leur employeur. La situation a atteint un point crucial avec un post sur les médias sociaux dans le groupe Facebook Pharmacy Staff for COVID-19 Support par un pharmacien communautaire de l'Oklahoma, Bled Tanoe, PharmD. Dans son message, Mme Tanoe explique au public américain les conséquences de la pandémie sur le personnel des pharmacies de détail ainsi que la réalité de l'environnement dans lequel il travaille: «Le personnel de votre pharmacie est en train de mourir... émotionnellement et physiquement. Écoutez très attentivement... ce n'est pas une exagération. Le nombre d'effondrements émotionnels que nous avons vus est monumental. Le nombre de personnes qui souffrent de crises cardiaques, de migraines, d'infections rénales et de tout ce qui découle du stress... c'est ce qui arrive en ce moment même au personnel de votre pharmacie.» Elle note que les entreprises ont tenté de réprimer les revendications d'épuisement et le mécontentement en remerciant le personnel avec des déjeuners pizza et coke, avant d’ajouter en bas de son message le hashtag #pizzaisnotworking. Ce hashtag a depuis été adopté par des groupes de pharmaciens à travers les États-Unis qui se sont joints à l'effort pour changer les conditions de travail. Le post est devenu viral et a lancé un mouvement national pour sensibiliser le public à la crise dans les pharmacies communautaires. Sur les médias sociaux, dans les journaux télévisés et dans les journaux de tout le pays, les pharmaciens américains racontent leurs histoires d'épuisement, de maladie et d’accidents évités de justesse. Une histoire non vérifiée décrit une pharmacienne de l'Indiana décédée d'une crise cardiaque au travail en septembre 2021. Elle aurait appelé son employeur pour dire qu'elle devait se rendre à l'hôpital, mais on lui a dit d'attendre deux heures jusqu'à ce qu'un pharmacien de secours puisse se présenter. Son histoire, accompagnée du hashtag #shewaited, a alimenté la colère et les protestations des pharmaciens et du personnel. Ces derniers mois, le personnel des pharmacies du pays a organisé des débrayages et contacté les médias locaux et nationaux dans le but de sensibiliser davantage d'Américains à leur combat. Un nombre record de postes vacants Comment les détaillants réagissent-ils? Alors que le personnel démissionne en grand nombre, Bloomberg rapporte que le taux de postes vacants chez CVS et Walgreens semble avoir atteint un niveau record, au point que la réduction des heures d'ouverture des pharmacies est devenue un phénomène courant dans les magasins du pays. En plus de proposer des déjeuners pizza, CVS a annoncé en février 2022 qu'elle mettait en place des pauses déjeuner obligatoires de 30 minutes pour le personnel des pharmacies. C'est loin d'être suffisant pour compenser les conditions de travail qui ont fait payer un lourd tribut à la main-d'œuvre des pharmacies, disent les voix derrière le mouvement #pizzaisnotworking. Jusqu'à présent, la campagne GoFundMe pour le documentaire d’Anaïs Mennuti a recueilli plus de 22 355 dollars sur un objectif de 50 000 dollars. «La communauté des pharmaciens attendait que quelqu'un réalise un long métrage exposant la réalité de la pharmacie», explique l'équipe sur son site Web. «C'est précisément ce que nous sommes là pour montrer – et changer – avec notre film.»

Conditions de travail déplorables en pharmacie: un documentaire en préparation

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