Comment parler à vos patients de leur poids, sans biais ni grossophobie

Une patiente qui se fait dire par son médecin de perdre du poids avant qu’il puisse réaliser un examen gynécologique. Un pharmacien qui sermonne un patient diabétique en lui lançant qu’il manque de volonté et doit se prendre en main s’il veut maigrir. Un asthmatique venant renouveler l’ordonnance de son bronchodilatateur à qui l’on conseille de changer ses habitudes alimentaires pour réduire ses crises respiratoires. Un orthopédiste qui expédie une femme souffrant du genou en lui annonçant au bout de cinq minutes qu’il la reverra quand elle aura perdu 15 kilos. Ces situations vécues par des personnes en surpoids ou obèses sont loin d’être anecdotiques. La grossophobie médicale est une réalité documentée et elle est bien présente au Québec, selon un récent sondage Léger (voir ci-dessous). «C’est fréquent que des patients me rapportent des histoires de même», témoigne la Dre Patricia Doucet qui a fait de la grossophobie son cheval de bataille. «Ces personnes-là sont souvent fragiles, elles se sentent agressées et vivent des microtraumatismes à chaque fois qu’on les stigmatise en raison de leur poids ou de leur apparence corporelle», indique l’omnipraticienne qui invite ses consœurs et confrères à prendre conscience de leurs biais au sujet du poids, en général, et de l’obésité, en particulier, afin de s’occuper de leurs patients de manière bienveillante. Pour ce faire, voici quelques recommandations et conseils glanés auprès de médecins et d’autres professionnels dans le cadre du dossier à la Une du magazine Profession Santé de décembre, qui est consacré à la prise en charge de l’obésité. Est-ce que je peux? «Par respect, il faut leur demander l’autorisation de parler de leur poids», indique la Dre Julie St-Pierre. La spécialiste de l’obésité suggère d’introduire l’échange par la phrase suivante: «J’aimerai discuter avec vous d’un problème de santé mal reconnu, relié à l’une de vos conditions.» Pour la médecin, il est nécessaire de montrer aux patients qu’on s’intéresse à leur souffrance, «car c’en est vraiment une. La moitié ont des comorbidités au niveau mental», signale-t-elle en insistant sur «la nécessité de créer la confiance. La personne est ensuite plus ouverte au changement.» Changer le discours «Notre alimentation et notre niveau d’activité physique ne sont pas les seuls facteurs qui influencent l’accumulation et la répartition des graisses», explique Safiétou Sakala, directrice de projets en santé mentale positive à l’Association pour la santé publique du Québec. Selon elle, il faut «souligner aux patients que la santé n’est pas qu’une question de poids. La science démontre que l’adoption de saines habitudes de vie - alimentation, exercice physique, gestion du stress et du sommeil, temps d’écran, relations sociales, etc. - n’ont pas nécessairement un effet sur le poids. En revanche, elles réduisent les risques de maladies chroniques et renforcent le système immunitaire.» La Dre St-Pierre abonde dans le même sens: «Il faut déculpabiliser les gens, leur dire que ce n’est pas de leur faute, que 80% de la maladie est d’origine génétique et que s’ils changent leurs habitudes de vie, ils ne maigriront pas forcément, mais seront en bien meilleure santé.» Selon un sondage Léger réalisé en juillet 2023, pour le compte de l’Association pour la santé publique, auprès de 1001 Québécoises et Québécois ayant un indice de masse corporelle (IMC) de 25 ou plus: un quart disent avoir déjà vécu de la discrimination à l’égard de leur poids 31% déclarent l’avoir vécue lors d’une consultation avec un professionnel de la santé, cette proportion étant nettement plus élevée chez les femmes (45%, contre 15% chez les hommes) 28% ne sont pas à l’aise à l’idée de parler de leur poids avec un médecin et 17% affirment la même chose à l’égard des pharmaciens plus du quart des répondants (27%) ont reçu le conseil de perdre du poids alors que ce n’était pas le motif de leur consultation dans 88% des cas 8% de ceux qui se sont fait dire de perdre du poids n’ont pas reçu de conseil spécifique pour y parvenir un répondant sur 10 affirme s’être abstenu de consulter un professionnel de la santé pour éviter de parler de son poids Décision partagée «Il faut adopter la même approche que pour la cessation tabagique, en respectant le choix du patient et le rythme auquel il veut procéder à des changements», conseille le Dr Yves Robitaille, spécialiste en médecine interne au Centre de médecine métabolique de Lanaudière, pour qui «il convient de discuter de ce que la personne se sent capable de faire pour améliorer sa santé». L’idée étant de définir ensemble des objectifs réalistes et atteignables «afin d’éviter les déceptions». Prendre le temps «Il faut bien comprendre les déterminants comportementaux, environnementaux ainsi que les facteurs sociaux et économiques qui sont propres à la personne afin d’identifier quels sont les freins au changement: est-ce que c’est son emploi ou de l’anxiété sévère qui l’empêche de planifier ses repas?», illustre la Dre St-Pierre. «En comprenant la situation, on marque des points comme professionnel de la santé.» «Écoutez plus que vous ne parlez pour bien comprendre ce que vos patients vivent et ce dont ils ont besoin», insiste Vicky Drapeau, cofondatrice et coordonnatrice de la Clinique Équilibre-Santé de l’Université Laval (UL)où elle est également professeure de kinésiologie. Elle estime ainsi qu’il ne faut pas se focaliser sur l’indice de masse corporelle ou sur le poids, mais plutôt sur les maladies chroniques associées. La diététiste de formation souligne par ailleurs que la prise en charge de l’obésité nécessite accompagnement et suivi. «Par manque de temps, les médecins et les pharmaciens sont assez limités (en la matière). Alors, ils ne doivent pas hésiter à travailler en interdisciplinarité avec des diététistes, des kinésiologues, des travailleurs sociaux, etc.» Lire aussi: Problème de poids: la culpabilité pèse lourd Pas à pas «Il faut prendre un déterminant à la fois et le traiter pendant quelques semaines», conseille la Dre St-Pierre en citant l’exemple du Coke. «Quand la personne en boit tous les jours, on peut lui proposer d’arrêter pour un temps et de mesurer ensemble les effets dans quatre semaines.» Selon la titulaire de la Chaire de leadership en enseignement sur la promotion des saines habitudes de vie de l’UL, Kadia Saint-Onge, la bonne approche consiste à «trouver une ou deux choses à modifier pour lever une première barrière au changement et éventuellement provoquer un effet cascade. Une chose accessible, réaliste et désirable, en laissant le choix au patient.» Ensuite, il convient de «l’inscrire au dossier pour pouvoir faire un suivi, comme pour un médicament.» S’agissant de l’activité physique, «les 150 minutes d’exercice physique recommandées par semaine, c’est une montagne pour une personne qui n’en fait pas du tout. Et tout le monde n’a pas le goût de faire du sport», observe Vicky Drapeau. Cependant, «chaque geste compte. Il vaut mieux conseiller de commencer simplement, en faisant de l’exercice 5 à 10 min par jour.» Adapter le matériel Safiétou Sakala signale enfin que «le matériel médical n’est pas toujours convenable à toutes les tailles, avec par exemple des brassards de tensiomètres, des jaquettes d’hôpital ou des chaises avec accoudoirs trop petits». Cela peut renforcer le sentiment de stigmatisation perçue par les personnes concernées, alors que «proposer du matériel adapté à tous leur procurera un sentiment de considération et d’inclusion.»

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