Christian Dubé met la pression sur les médecins de famille

Tandis que son cabinet publiait mercredi après-midi un communiqué appelant «à la responsabilité sociale des médecins de famille», le ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, annonçait simultanément en mêlée en presse le dépôt prochain d’un règlement en lien avec la Loi visant à augmenter l’offre de services de première ligne et à améliorer la gestion de l’offre. Celui-ci vise entre autres à obliger les omnipraticiens à inscrire individuellement des milliers de patients vulnérables.«Il y a eu un bel effort des médecins depuis un petit peu plus qu’un an, de prendre les 900 000 patients qui étaient sur le GAMF [le guichet d’accès à un médecin de famille], mais il reste encore 13 000 patients vulnérables (…). C’est eux qui ont besoin d’une prise en charge par le médecin. C’est malheureusement eux qui vont avoir besoin d’un service plus fréquent du médecin. C’est eux qu’on voit beaucoup aux urgences», a expliqué Christian Dubé dans les couloirs de l’Assemblée nationale.«Le règlement vient clarifier les règles qu’on a mises dans le PL11. Et on va demander aux médecins de prendre les 13 000 patients de catégorie A et B qui sont vulnérables», a précisé le ministre en spécifiant qu’il souhaite que ces patients-là soient pris en charge par un omnipraticien et non par un groupe de médecins, comme c’est le cas pour les patients inscrits collectivement qui doivent transiter par le GAP, le guichet d’accès à la première ligne, pour obtenir une consultation.Soufflant le chaud et le froid, Christian Dubé a fait référence à la Loi 20 du Dr Gaétan Barrette dont les règlements n’ont jamais été déposés. «La loi 20 n’a jamais été appliquée, et c’est de ça que les médecins ont peur», a déclaré le ministre, ajoutant aussitôt: «Mais je ne suis pas rendu aux sanctions que Barrette avait peur de mettre en place.» Convaincu qu’il est capable «de faire de bonnes négociations» avec la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) avec qui il est en train de discuter du renouvellement de l’entente de rémunération des médecins de famille, Christian Dubé a rappelé qu’il y avait environ 40 000 patients vulnérables inscrits au GAMF l’an dernier. «On est passé à 13 000, c’est quand même très bon. Je ne suis pas dans l’obligation, mais je veux que ça soit à zéro. On va discuter avec le Dr Amyot sur la date d’atteinte de cet objectif.»Spin politiqueCe dernier accueille l'annonce du ministre «avec incompréhension et une grande déception». Incompréhension, car «les canaux de communication ont toujours été ouverts», signale le président de la FMOQ. «On a un comité de suivi avec le Ministère qui se réunit aux deux semaines pour traiter ce genre de problématiques. Et on ne comprend pas d’où sortent ces 13 000 patients vulnérables non inscrits.» Selon lui, «le ministre tente de faire porter l’odieux de cette situation aux médecins de famille alors qu’il devrait plutôt blâmer les fonctionnaires responsables du GAMF qui n’ont pas distribué ces 13 000 patients-là. Nous, on a répondu présents malgré la pénurie de médecins, et on a fait des efforts pour inscrire 930 000 patients», souligne le Dr Amyot.Sa «grande déception» tient au ton employé mercredi par Christian Dubé qui l’a irrité. «Il nous avait parlé de son projet de règlement, mais on l’avait assuré qu’il n’était pas nécessaire, qu’on participerait à l’effort. Puis il sort ça sur la place publique en mentionnant la Loi 20. Attendez la publication du règlement, il y aura des sanctions. Quand il y a des obligations, il y a toujours des sanctions», affirme le président de la FMOQ, pour qui il s’agit ni plus ni moins d’une opération de spin politique. «Il cherche à dévier le projecteur médiatique qui est sur lui. La population ne croit plus à sa réforme du réseau de la santé. Le personnel du Ministère ne veut pas transférer à Santé Québec. Alors il tape sur la tête des médecins de famille. C’est peut-être payant politiquement, mais c’est regrettable, car ça entache l’esprit de collaboration dans lequel on était.»À lire aussi: Où s’en va la médecine de famille?Accès aux données des GMFLe second volet du règlement, qui sera publié dans la Gazette officielle le 21 février, concerne l’orchestrateur de rendez-vous — le hub — auquel les GMF doivent se connecter pour communiquer leurs plages horaires disponibles pour les patients du GAP. S’il est adopté en l’état, le règlement prévoit que «les médecins qui n’utilisent pas actuellement l’orchestrateur auront jusqu’à 18 mois pour se conformer. Ces informations de gestion sont indispensables pour obtenir un portrait complet de l’offre des groupes de médecine familiale», précise le communiqué du cabinet du ministre de la Santé.En mêlée de presse, Christian Dubé a mentionné qu’il veut avoir accès aux informations transmises par les GMF. «On a investi depuis trois ans une fortune pour connecter tous les GMF ensemble avec le fameux hub. Je veux être capable de les voir ces données-là. C’est un élément clé pour bien comprendre l’offre et la première ligne. (Actuellement), j’ai cette information, mais je n’ai pas le droit de m’en servir. Le règlement va me permettre d’y avoir accès», indique le ministre. Il espère ainsi comprendre «pourquoi dans une région j’ai plus de (patients) P4 et P5 à l’urgence ? Est-ce que les (horaires) d’ouverture du GMF ne sont pas respectés? Est-ce qu’il y a un lien entre les GMF (qui ne sont) pas ouverts les fins de semaine (et la situation dans les urgences)?»La FMOQ n’est pas contre un meilleur accès aux données, mais elle ne veut pas que cela se traduise par un alourdissement du fardeau administratif des omnipraticiens. «Les données sont disponibles sur le hub, on les transmet déjà. Le ministre peut s’en servir, mais dans quel but veut-il s’en servir?» interroge le Dr Amyot. «Si c’est pour qu’on les utilise ensemble afin d’améliorer la situation, c’est correct», répond-il en redoutant plutôt qu’elles servent à une chasse aux sorcières. «Il veut s’assurer que les GMF respectent leurs obligations. Or actuellement, celui qui ne respecte pas le contrat, c’est son ministère.»

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