Changer le nom de l'Hôpital de l'Enfant-Jésus pour l'Hôpital Irma-Levasseur?

Lancée le mois dernier, la pétition adressée au CHU de Québec-Université Laval a recueilli un peu plus de 1200 signatures sur la plateforme de pétitions en ligne, change.org. La Dre Levasseur a été la cofondatrice de l’Hôpital de l’Enfant-Jésus en janvier 1923. À l’époque, elle a investi toutes ses économies, soit 30 000$ (une fortune à l'époque) pour acheter l’édifice du 55, Grande Allée, et l’a aménagé en hôpital destiné à accueillir et à soigner des enfants pauvres. Quinze ans auparavant, en 1907, elle avait ouvert le Refuge des petites enfants malades, au 3772 rue Saint-Denis, à Montréal, qui est devenue l’Hôpital Sainte-Justine. «Il est des destins inexplicables. Celui de la Dre Irma Levasseur étonne encore. Comment, de son vivant, a-t-on pu passer à côté d’une pareille femme? Comment pouvons-nous ignorer sa contribution?», écrit l’initiateur de la pétition, Jacques Roberge, sur le site web de la pétition. Selon lui, l’occasion est belle pour donner son nom à cet établissement de santé, puisque cinq bâtiments de l’hôpital ont été démolis et qu'un nouveau complexe hospitalier sera construit. Pour plusieurs signataires de la pétition, il est grand temps de lui rendre hommage. «C’est une remarquable oubliée dont on doit se souvenir. La pétition permet d’honorer la mémoire de cette dame à la hauteur de son engagement de médecin», indique Yves Garneau. «Comment ignorer le courage et la contribution uniques de cette femme exceptionnelle? Vivement qu’on reconnaisse sa détermination et son apport remarquables», poursuit Célyne Godbout. De son côté, Renée Beauregard signe la pétition pour rendre justice à la médecin «qui a subi, nous imaginons, le mépris et l’arrogance des mœurs masculines de l’époque». À lire aussi: Féminisation de la profession: un incontournable dans la planification du renouveau du système de santé Dans une lettre ouverte signée à l’occasion de la Journée internationale des droits des Femmes, la présidente de l’Association médicale canadienne, la Dre Katharine Smart, a tenu à rendre hommage à cette médecin qui se passionnait pour la pédiatrie. «La Dre Levasseur fait partie de ces pionnières qui ont pavé la voie pour des générations de femmes médecins au Québec. Pour cela, nous lui devons collectivement beaucoup, car lorsqu’une femme devient médecin, c’est toute la société qui y gagne», affirme-t-elle, ajoutant que près de 70% des médecins de famille de moins de 60 ans sont des femmes au Canada. Pour sa part, l’anthropologue, Serge Bouchard, décédé l’an dernier, a déjà dit de la Dre Levasseur qu’elle a su démontrer que pour avancer dans la vie «il faut être caractériel et délinquant». Forcée de s’exiler Née en 1877 dans le quartier Saint-Roch à Québec, Irma Levasseur a été contrainte de s’exiler aux États-Unis pour suivre une formation de médecin à la fin des années 1800 car, à cette époque, les femmes ne pouvaient pas étudier dans les facultés de médecine au Québec. Elle décroche son diplôme à l’Université du Minnesota en 1900, devenant ainsi la première femme canadienne-française médecin. Elle pratique aux États-Unis puisqu'elle ne peut pas encore être médecin dans sa province canadienne. Finalement, trois ans plus tard, après avoir fait plusieurs pressions auprès des élus québécois, une loi privée l’autorise à exercer son métier. À lire aussi: Histoire: la vie captivante d'Irma Levasseur De 1905 à 1907, Irma Levasseur se spécialise en pédiatrie et en chirurgie à Paris, puis en Allemagne. C'est à son retour au Québec qu'elle fonde le Refuge des petits enfants malades (qui deviendra l’Hôpital Sainte-Justine). En 1915, elle met le cap sur la Serbie aux prises avec une épidémie de typhus durant la Première Guerre mondiale. Cinq ans après, elle revient dans sa ville natale et ouvre un hôpital pour enfants grâce à l’achat d’un bâtiment sur Grande-Allée. L’endroit deviendra plus tard l’Hôpital de l’Enfant-Jésus. Toutefois, la Dre Levasseur claque la porte de l’hôpital à cause d’une mésentente avec les administrateurs. Elle perdit une fortune dans la revente de la maison sur Grande-Allée. Morte dans l’indifférence Les dernières années de sa vie ont été difficiles. Elle vit recluse dans un logement délabré de la rue de l’Artillerie où, selon ses dires, elle mène des recherches médicales. «Les rats ont envahi l’endroit, son linge est dans un état crasseux. Toutes les pièces sont encombrées d’un fouillis de guenilles, de journaux, de meubles démontés», décrit un psychiatre qui conclut à des troubles psychiques et recommande son admission à l’Asile Saint-Michel-Archange en 1957. Après avoir engagé une procédure juridique contre le médecin qui l’a fait interner, elle quitte l’hôpital l’année suivante. Elle meurt le 22 janvier 1964 dans la pauvreté, l’oubli et l’indifférence. Sortir de l’anonymat Rares sont les médecins qui peuvent se vanter d’avoir fondé deux hôpitaux, en plus d’avoir participé à une mission humanitaire. Pourtant, la contribution à la médecine de la Dre Irma Levasseur avait été peu soulignée jusqu’à récemment. En 2019, la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) a mis sur pied le Prix Irma-Levasseur remis à une femme médecin comptant plus de 10 ans d’expérience. De plus, au CHU de Québec, un auditorium porte maintenant son nom, ainsi qu’un parc à Sherbrooke, depuis 2014. Finalement, une grande murale sur laquelle son nom apparaît en premier a été érigée à l’intérieur de l’Hôpital Sainte-Justine et une autre à l’Hôpital de l’Enfant-Jésus. Plusieurs croient maintenant qu’il faut en faire plus en nommant un hôpital à son nom. 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