Changements climatiques: favoriser la résilience du système de santé

Le rapport, intitulé Les coûts des changements climatiques pour la santé: comment le Canada peut s'adapter, se préparer et sauver des vies, place les changements climatiques (CC) au stade d’une urgence de santé publique. Signé par une vingtaine d’experts, il plaide à la fois pour la mise en œuvre rapide de mesures de réduction d’émissions de gaz à effet de serre (GES) et pour l’adoption de mesures de résilience afin de se préparer aux conséquences, en soutenant que cela pourrait permettre de sauver des vies et diminuer les coûts en santé dans les décennies à venir. «Le rapport sonne l’alarme: nous suivons actuellement une trajectoire qui pourrait compromettre notre capacité à offrir des soins et la facture que notre société devra payer sera énorme, indique la Dre Claudel Pétrin-Desrosiers, résidente en médecine familiale. Des rapports comme celui-ci nous ramènent la réalité en pleine figure.» Un manque de formation sur les changements climatiques Le manque d’éducation des professionnels de la santé au sujet de l'ampleur de l’impact des CC sur la santé humaine a été soulevé par la Dre Pétrin-Desrosiers pour expliquer, du moins en partie, pourquoi le système de santé n’est pas prêt actuellement à faire face aux bouleversements à venir. «Il y a un enjeu de formation et de mobilisation de la communauté médicale. Les CC ne sont pratiquement pas enseignés dans le parcours de médecine ou celui d'autres professions de santé, précise la Dre Pétrin-Desrosiers, qui est aussi présidente de l'Association québécoise des médecins pour l'environnement. Si les professionnels de la santé ne sont pas au courant de cette problématique parce qu’elle ne fait pas partie des objectifs de la formation continue, ils ne vont pas chercher ces risques-là dans leur pratique ni s'y intéresser.» Pourtant, les changements climatiques sont bien connus pour agir comme des amplificateurs de risques, nous rappelle-t-elle, car ils viennent modifier à peu près tout ce que les médecins connaissent sur la santé, de façon directe et indirecte. Grâce à son nouvel outil, Les changements climatiques: abrégé à l’intention des professionnels de la santé, l’Institut national de santé publique du Québec vient combler une partie du manque de formation. Très axé sur l’aspect pratique, cet abrégé fait un survol complet et détaillé des impacts répertoriés des CC sur les différents systèmes du corps humain, science à l’appui. Plusieurs études ont, par exemple, déjà démontré que les vagues de chaleur augmentent les risques de décès et de complications des maladies sous-jacentes chez les personnes vulnérables ou qui ne peuvent pas se protéger adéquatement de la chaleur. Les auteurs du rapport les ont d’ailleurs chiffrés à près de 4 milliards de dollars chaque année. Les températures élevées pourraient aussi faire augmenter les taux d’hospitalisation de 21% d'ici 2050, voire même les doubler d'ici 2100, si l’on se fie à leur scénario d'émissions modérées. Les maladies respiratoires ne feront pas dérougir les urgences non plus. En plus de la détérioration de la qualité de l’air en raison des feux de forêts, dont la fréquence et la gravité sont accentuées par les CC, les auteurs affirment que «sur une période de 10 ans à la fin du siècle, les maladies liées à l’ozone pourraient entraîner 270 000 hospitalisations et décès prématurés, soit plus que la population de la ville de Gatineau», ce qui ferait monter la facture annuelle à 86 milliards $ d’ici 2050 et à 250 milliards d’ici 2100. Face à cette augmentation alarmante des facteurs de risque, les médecins auraient avantage à poser des questions «environnementales» de façon plus systématique à leurs patients, en plus de prodiguer des conseils de prévention à la suite d’annonces d'importantes vagues de chaleur ou de smog, plaide la Dre Pétrin-Desrosiers. Par exemple, leur logement est-il climatisé, ont-ils accès à des zones de fraîcheur, font-ils aérer leur logement, devrait-on suspendre temporairement certains médicaments, y a-t-il beaucoup d'îlots de chaleur dans leur quartier, etc.? Une littérature, solide d'un point de vue scientifique, démontre aussi que passer du temps en nature est bénéfique pour la santé. «Cela peut réduire la fréquence cardiaque et la tension artérielle. C'est associé à une augmentation du bien-être et à une réduction de l'inactivité, ce qui procure de nombreux bénéfices cardiovasculaires. Ce sont des gestes simples qui permettent à la personne de profiter de son environnement naturel immédiat, mais encore faut-il qu'il y en ai à proximité du quartier des patients, donc cela rejoint les enjeux liés à l'aménagement du territoire.» Le poids social des médecins Années après années, les médecins, les pharmaciens et les infirmières continuent d’occuper le haut de la liste des professions auxquelles la population fait confiance: le poids social qu’ils exercent ne doit donc pas être sous-estimé. Lorsque des médecins investissent l’espace public pour sonner l’alarme face à un enjeu important - comme ça a été le cas avec le VIH et l’industrie du tabac, par exemple -, celui-ci gagne souvent une place précieuse dans l'échiquier politique et devient un sujet d'attention. «Comme médecin, on est au cœur des enjeux sociaux, soutient la Dre Pétrin-Desrosiers. On voit les patients, on entend leurs préoccupations et je pense que ça vient avec la responsabilité de les rapporter à une plus grande échelle pour que l'action soit efficace, surtout en prévention.» Ainsi, seule une réponse politique peut contribuer à uniformiser la qualité de vie de la population quand de grands enjeux de santé émergent, d’après elle. «C’est un devoir de répondre aux besoins affectant la santé des gens qu'on soigne. À Montréal, par exemple, il y a des écarts de vie de 9 à 10 ans entre les quartiers les plus riches et les plus défavorisés et je trouve cela complètement inacceptable. Par exemple, le gouvernement a récemment créé un comité d'experts pour accompagner le ministre dans les plans de lutte aux CC, mais a fait le choix d'y intégrer aucun expert de la santé. Quand, au niveau ministériel, on n'a personne pour rappeler les impacts des CC sur la santé, ça ne se répercute donc pas dans les politiques qu'ils font. Selon moi, une meilleure résilience du système de santé et de la Santé publique passe par une prévention, une sensibilisation et une éducation; il est temps de s’y mettre.»

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