Ces femmes-là: incursion en douceur dans l’univers de la démence

La Dre Francine Audet aime la relation à long terme qu’elle a établie avec ses patients âgés ou souffrant de divers troubles cognitifs. « Avec le malade lui-même et sa famille, nous avons l’occasion de vivre à plein l’aspect humain de notre pratique. Là, on ne peut pas juste appliquer une recette de médecine », raconte à Profession Santé la médecin de famille de Sherbrooke, aujourd’hui retraitée. Elle a notamment exercé pendant 20 ans auprès des personnes âgées, une tranche de vie qu’elle évoque dans Soins prolongés – Le récit de Marie, son premier roman. La Dre Francine AudetAvec son second livre, Ces femmes-là*, elle pousse plus loin son incursion, cette fois dans l’unité pour patients déments, à travers le quotidien de trois femmes. « Je veux montrer qu’on peut encore cultiver des liens avec les patients Alzheimer par exemple, même quand les échanges rationnels ne sont plus possibles. »De grands enfantsPourquoi cette attirance vers les clientèles lourdement handicapées ? « C’est inné, mon côté maternel sans doute », répond la Dre Audet. À ces personnes démentes, poursuit-elle, il reste des vestiges d’existence. Et les souvenirs qui persistent le plus longtemps dans leur mémoire semblent les ramener lentement mais sûrement vers l’enfance.« Tout comme en pédiatrie on s’attache aux enfants en appréciant leur ingénuité, et bien moi, je trouve très attachants ces grands enfants à la peau flétrie, aux cheveux blancs ou clairsemés, au dos parfois voûté, à la démarche souvent hésitante. » Des enfants qui n’apprennent plus cependant, mais qui vont finir recroquevillés en position fœtale au fond de leur lit. Ces femmes-là, Francine Audet, Publications Saguenay, 2016, 20 $Ces patients, on les dit aussi souvent agressifs, mais « pour ma part, je ne l’ai que très rarement constaté pendant toutes ces années », indique la Dre Audet. « C’est vrai qu’ils vivent à l’instinct, sentant d’emblée si une personne est en assurance ou non. Ils ressentent très vite si l’on a peur d’eux. » C’est pourquoi le fréquent roulement de personnel remplaçant ou à mi-temps dans les CHSLD affecte profondément cette clientèle, déplore la médecin. « Les patients peuvent reconnaître certains visages, la manière dont on s’occupe d’eux ainsi que la façon de les approcher, et ça les rassure. Mais quand il leur faut régulièrement tout recommencer avec de nouvelles personnes, ça les perturbe. »La Dre Audet dit avoir beaucoup appris à force de côtoyer ces patients et leurs proches aussi, éprouvés par la douleur de voir des êtres qui ne les reconnaissent plus. « La démence crée lentement des inconnus », dit-elle. Oui, le CHSLD est souvent un décor de théâtre bien frustre, pour des vies déchirées, tiraillées, à la limite de l’inconscience, conclut-elle. Mais y brille aussi une richesse d’humanité, une intensité relationnelle — « de la dentelle » — que la médecin rend avec beaucoup d’émotion dans Ces femmes-là.* Disponible sur le site de Bouquinbec et à la Biblairie GGC de Sherbrooke et de Magog.

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