Cardiomyopathie de tako-tsubo: la guérison d'un «cœur brisé» reste une énigme à résoudre

Alors que l'incidence de la cardiomyopathie de tako-tsubo, ou syndrome du cœur brisé, augmente, des études récentes montrent que les résultats à long terme pour les patients ne sont pas aussi positifs qu'on le pensait, tandis que les traitements efficaces restent difficiles à trouver.La cardiomyopathie de tako-tsubo (CTT) fait généralement suite à un facteur de stress émotionnel, tel que le décès d'un proche ou un autre événement majeur de la vie, et peut également faire suite à un facteur de stress physique, tel qu'une maladie soudaine. Traditionnellement, on considère que c'est une maladie qui se résorbe spontanément en quelques jours. Mais des études plus récentes indiquent qu'elle expose les patients à un risque de mortalité plus élevé au fil du temps.La CTT (également appelée cardiomyopathie de stress) est une maladie rare, dont souffrent en réalité 1 à 3% des patients qui se font soigner pour un infarctus du myocarde (IM). Ses symptômes imitent ceux de l'infarctus, mais ne sont pas dus à un blocage, mais à un gonflement soudain du ventricule gauche inférieur. Ce ventricule bombé ressemble à un piège utilisé pour attraper les poulpes - un tako-tsubo en japonais.Une étude publiée dans le Journal of the American Heart Association en octobre 2021 a constaté une augmentation annuelle constante de la CTT chez les femmes et les hommes entre 2006 et 2017, les augmentations les plus marquées étant observées chez les femmes de 50 ans et plus, indiquant qu'elle pourrait refléter le vieillissement de la population, la prévalence croissante des facteurs de stress de la vie moderne et la sensibilisation et la détection accrues de cette affection.Un article publié dans le JAMA en 2020 indique que l'incidence a été multipliée par cinq pendant la pandémie, ce qui, selon les auteurs, est associé à une augmentation des facteurs de stress psychologiques, sociaux et économiques.«Pendant longtemps, nous avons pensé que la cardiomyopathie de tako-tsubo était une maladie bénigne», a déclaré le Dr Ian Paterson, cardiologue et directeur du Centre canadien pour les maladies cardiaques rares à l'Institut de cardiologie de l'Université d'Ottawa, dans une entrevue accordée au Medical Post, une publication soeur de Profession Santé.Il précise que cette maladie touche principalement les femmes périménopausées.«Nous nous sommes dit que le cœur se rétablissait et que nous n'avions pas à nous préoccuper de ces patients. Mais il y a de plus en plus de données et d'études - y compris une plus récente - qui suggèrent que les résultats pour ces patients, en particulier les hommes atteints de tako-tsubo, ont en fait une mortalité assez élevée au fil du temps», ajoute le médecin.Nouvelle étudeCette étude récente, publiée dans le Journal of American College of Cardiology: Advances en janvier 2024, a été réalisée par des chercheurs de l'unité de cardiologie et de recherche cardiovasculaire de l'Université écossaise d'Aberdeen.Ils ont examiné 620 patients atteints de CTT entre 2010 et 2017, ainsi que 620 patients souffrant d'un infarctus et 2480 personnes de la population générale.Sur les 3720 participants à l'étude (âge moyen, 66 ans; 91% de femmes), 153 (25%) patients atteints du syndrome de tako-tsubo sont décédés au cours de la période médiane de suivi de 5,5 ans.Ces données dépassent les taux de mortalité de la population générale pour les décès cardiovasculaires et non cardiovasculaires, les causes cardiovasculaires et pulmonaires représentant une proportion majeure des décès après la CTT.Les taux de mortalité étaient légèrement inférieurs chez les patients ayant subi une CTT par rapport à ceux ayant subi un infarctus, ce qui s'explique par des taux de décès cardiovasculaires inférieurs.Malgré l'utilisation de médicaments comparables, les thérapies cardiovasculaires étaient systématiquement associées à une meilleure survie chez les patients ayant subi un infarctus du myocarde, mais pas chez ceux ayant subi une CTT.«Il s'agit d'une étude de base de données administratives sur la santé, ce qui peut présenter certaines limites, mais dans l'ensemble, elle est assez bonne», a affirmé le Dr Paterson.«Comme il s'agit d'une maladie rare, le fait d'avoir 620 patients atteints de tako-tsubo en fait une étude de taille significative. Elle a donc un impact à cet égard, et la durée du suivi, cinq ans et demi, est tout à fait satisfaisante. Souvent, le suivi n'est pas aussi long pour ce type d'études, donc le fait d'avoir un groupe aussi important et un suivi aussi long augmente vraiment la puissance de l’étude», ajoute le médecin.L'une des conclusions les plus intéressantes, selon le Dr Paterson, concerne l'utilisation des médicaments: Aucune thérapie cardiovasculaire n'est restée associée à une amélioration de la survie chez les patients atteints de CTT.«Pour les patients ayant subi un infarctus du myocarde, les pilules pour le coeur étaient associées à de meilleurs résultats. Mais les mêmes médicaments administrés aux patients atteints de tako-tsubo ne semblaient pas avoir d'impact sur l'amélioration de leurs résultats. En fait, certains médicaments, comme les anti-inflammatoires et les diurétiques, étaient potentiellement associés à une détérioration des résultats.Selon le Dr Paterson, la meilleure façon de traiter la CTT est toujours inconnue.«Pour moi, cela montre bien que nous ignorons encore beaucoup de choses sur le syndrome de tako-tsubo. Tout d'abord, nous ne comprenons pas entièrement le mécanisme qui explique pourquoi les gens en sont atteints. Nous savons qu'il semble lié au stress, mais quelles sont les hormones ou les processus spécifiques dans le corps qui entraînent le syndrome de tako-tsubo? Et nous ne disposons pas de thérapies spécifiques pour le syndrome qui aient un impact sur le risque de décès à long terme», se désole le Dr Paterson.Il indique que les raisons de l'association entre la CTT et la mortalité non cardiovasculaire ne sont toujours pas claires.«Il existe en général une association entre les personnes qui développent une maladie cardiaque et celles qui développent un cancer. Là encore, nous n'en comprenons pas toutes les raisons. Cela s'explique en partie par le fait qu'il existe des facteurs de risque communs. Cela pourrait également être le cas dans la maladie de tako-tsubo. Dans l'ensemble, nous avons encore beaucoup à apprendre», conclut le médecin.

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