Bilan de l'année et perspectives 2023 dans le milieu médical, par nos blogueurs

Faire renaître l’attractivité de la médecine familiale Les résultats du Service canadien de jumelage des résidents (CaRMS) au printemps 2022 ont confirmé la tendance amorcée en 2021: l’attirance des jeunes diplômés envers la médecine familiale est sévèrement mise à l’épreuve. Cette année, 65 des 510 places offertes au Québec sont restées vacantes. Presque 13%. Cette situation est incomparable avec le reste du Canada où l’on compte seulement 26 places non comblées. On sait qu’au même moment, on s’apprête à entrer dans une période de départs à la retraite sans précédent depuis celle qui avait été stimulée par le gouvernement de Lucien Bouchard à la fin des années 1990. Il faut ajouter à ces faits inquiétants une lecture du terrain: vous côtoyez sans doute, comme moi, des médecins de famille épuisés par la prise en charge, qui réorientent leur pratique vers des activités comme les soins de fin de vie, la médecine hospitalière, ou bifurquent même vers une carrière médico-administrative voire non médicale – un phénomène de moins en moins marginal. Êtes-vous surpris? Moi non. Cela fait des années qu’on dévalorise collectivement la prise en charge et le suivi en cabinet. Ça commence au sein même des facultés de médecine, sur les étages de spécialité à l’externat, et ça se poursuit en pratique par une sous-valorisation salariale de la prise en charge par rapport aux activités hospitalières. Ajoutons la mauvaise presse des dernières années déclenchée durant l’ère Barrette, la lourdeur bureaucratique de la pratique soutenue par les compagnies d’assurance et les ordres professionnels, mais aussi le sous-investissement des CISSS dans les ressources professionnelles en GMF (absences non remplacées, roulement de main-d’oeuvre)... Voilà! la table est mise pour une autre année difficile au CaRMS 2023. Faire renaître l’attractivité est un défi colossal, mais il est urgent de réagir et les actions doivent débuter dès maintenant. Chaque journée passée sans réagir compromet la qualité de la prise en charge de première ligne pour les générations à venir. – Dr Mathieu Pelletier 2022: la fin du rhume banal L’année 2022 s’achève sur un rhume pour beaucoup d’entre nous. Les virus respiratoires nous assaillent tous en même temps, fâchés d’avoir été négligés durant les deux dernières années alors qu’on ne parlait que de la COVID et que l’on conservait nos distances et nos masques. Dans la dernière année, nous nous sommes habitués à «vivre avec le virus», chose inévitable pour conserver la santé psychologique et la cohésion sociale. C’est la première année de «l’après-pandémie», ou plutôt de la pandémie que l’on a choisi d’ignorer. Nous pouvons maintenant ôter le masque dans les avions ou dans les spectacles bondés, mais nous ne savons toujours pas quel petit rhume se transformera plus tard en cas d’intubation aux soins intensifs. Heureusement, le risque est faible grâce à la vaccination. Il est loin, le temps où les patients pensaient qu’ils attrapaient un rhume parce qu’ils avaient eu froid, ce temps où il ne nous fallait que quelques minutes au sans rendez-vous pour gérer un cas banal d’IVRS en pensant qu’il n’aurait pas dû se retrouver devant le médecin et que c’était une piastre facile à faire. À présent, dans votre urgence qui craque de débordement, vous vous demandez si ce nez qui coule pourrait être le fruit du coronavirus. Votre patient, lui, ne pense plus à se tester. Votre questionnaire et votre examen physique sont plus exhaustifs, vous prenez davantage de précautions. Et, pour ceux qui ont cette petite douleur thoracique à force de tousser, la possibilité d’une embolie pulmonaire vous tracasse, tandis qu’auparavant vous sautiez tout de suite à la conclusion qu’il s’agissait d’une douleur musculaire causée par cet excès de toux. Au-delà des virus, l’année qui s’achève a éternué d’une élection sans enjeux, puis a continué ses activités normalement sans que personne ne lève la tête. On a assisté à la chaise musicale des PDG d’établissement et peut-être à une nomination ministérielle enfin prometteuse pour les soins aux aînés jusqu’ici négligés. Le système de santé s’est mouché du GAP et de l’inscription de patients en groupe, une amélioration notable qui devra toutefois faire ses preuves. La véritable révolution provient du fait que l’actuel ministre la Santé reconnaît pour la première fois la pénurie de médecins comme cause des difficultés d’accès. On ne nous accuse plus de jouer au golf ou de travailler à temps partiel. On a compris en haut que tout n’a pas à passer par le médecin de famille, que les autres professionnels de la santé ont la compétence pour régler de nombreux problèmes en première ligne, que les médecins ne sont pas rongés par une soif corporative de garder la mainmise sur le pouvoir diagnostique. Il reste à régler le cas des formulaires d’assurance abusifs aux pages de plus en plus nombreuses ou des demandes des employeurs pour jouer leur chien de garde, véritable morve administrative qui englue notre travail clinique. Ici, les professionnels non médecins pourraient facilement contribuer à partager ce fardeau. Pour l’année 2023, souhaitons-nous donc, en plus d’une accalmie virale, une douce transformation collaborative et technologique du système de santé, qui, à défaut d’un remède miracle, serait un sirop apaisant les difficultés d’accès qui sévissent depuis tant d’années. – Dr Vincent Demers On a frappé le mur A l’approche des Fêtes 2022, mon bilan de l’état de la médecine familiale au Québec demeure similaire à celui de l’année passée, à une différence près: on a finalement frappé le mur. On a frappé ce mur en raison du report incessant, depuis 15 ans, des actions à entreprendre pour offrir aux Québécois un accès robuste à la médecine familiale de première ligne. Quelles sont ces actions? Réduire de 40% à 20% le nombre d’heures travaillées par les médecins de famille en hôpital dans les milieux urbains et semi-urbains, là où les spécialistes sont assez nombreux: retourner ainsi en première ligne 1 500 médecins de famille à temps-plein. Pour les patients vulnérables (selon les codes de la RAMQ et pour les conditions avancées et terminales), centrer les perpétuelles réorganisations de services des médecins de famille sur l’importance du suivi longitudinal de ces patients frêles. Encourager leur prise en charge médicale personnalisée en mesurant l’assiduité des visites auprès de leur médecin de famille, puisque ce suivi a démontré son efficacité pour réduire les consultations aux urgences et les hospitalisations. Malheureusement cette année, on ne discrimine pas ces patients: on envoie dans les SRV et les GAP des milliers de grands malades. Une forme de fast-food médical, mieux que rien, mais certainement insuffisant pour les grands malades. Décentraliser véritablement les décisions concernant les effectifs médicaux régionaux et les divers postes occupés par les médecins de famille. Remettre ce pouvoir dans les mains des DRMG et des Centres de santé qui ne devraient plus être obligés de passer par le Ministère et la FMOQ pour approuver chaque poste. La FMOQ et le MSSS devraient se limiter à décider des effectifs provinciaux et des priorités générales. Augmenter le plus vite possible le nombre de postes de médecine familiale dans nos facultés, en ces années d’alourdissement de nos clientèles. Accélérer la formation des médecins étrangers qui pourraient venir pratiquer au Québec, comme le font les autres provinces canadiennes depuis des années. Déléguer aux autres professionnels la majorité des patients en santé ou aux prises avec des conditions mineures stables, pour se concentrer, dans tous nos milieux de soins (cabinet, domicile, longue durée) aux patients les plus complexes médicalement, la compétence première des médecins de famille. Mettre en place dans tous les CLSC des équipes médicales SIAD pour prendre en charge 24/7 les patients en lourde perte d’autonomie complexes médicalement, tout comme en CHSLD. Leur adjoindre des infirmières SAD aigu d’urgence, en lien quotidiennement avec les services d’urgence du 811 et du 911, pour éviter des hospitalisations. Que le gouvernement affirme à tous les intervenants concernés (compagnies d’assurance, employeurs publics et privés, etc.) que les médecins de famille québécois ne complèteront désormais qu’un seul gabarit de formulaire par situation clinique, un gabarit écourté qui devra être le même dans tous les DME (dossier médicaux électroniques). Pour les arrêts simples et courts de travail, créer un formulaire d’auto-déclaration de maladie à remplir par le travailleur lui-même, qui s’engage par écrit à ne pas mentir sous peine de remboursement des primes de salaire reçues. Les assureurs gouvernementaux devraient cesser d’exiger que seul un médecin de famille complète les formulaires CNESST et SAAQ. Les médecins spécialistes et surtout les médecins experts impliqués devraient le faire aussi: le médecin de famille n’est pas un avocat, il est un clinicien. Le CRDS bloque sans cesse, il est devenu un obstacle aux soins, un incitatif à envoyer aux urgences: revoir son mécanisme avec des médecins de famille en clinique. Que notre syndicat, la FMOQ, informe honnêtement les médecins de famille en cabinet qu’ils n’auront plus le choix d’engager à leur frais plus de personnel de soutien (infirmières, secrétaires) s’ils veulent éviter l’épuisement et l’écœurement face aux innombrables tâches administratives inhérentes à la pratique actuelle au Québec. Les médecins ontariens le font depuis des années. La rémunération à venir (à capitation) devrait tenir compte de cette nouvelle réalité, en intégrant une mesure de l’assiduité pour les patients vulnérables, de façon à éviter les dérives actuelles où les rendez-vous GAP de certaines cliniques privent leurs patients inscrits de rendez-vous avec leur médecin de famille, avec plus de débordement des urgences. La bonne nouvelle pour 2023? On a frappé le mur. Rien ne va plus. Il nous est difficile d’imaginer pire que ce qui se passe au quotidien en première ligne. Le gouvernement n’a plus le choix. Il n’a plus le choix de contourner les obstacles politiques des 15 dernières années (syndicats infirmiers et médicaux, MSSS, bureaucratie lourde sans reddition de comptes, non-considération des médecins de famille en cabinet et à domicile, erreurs majeures dans la planification à long terme des effectifs, etc.) La cellule de crise des urgences tient maintenant compte des soins à domicile et des soins en cabinet dans la gestion du débordement de nos urgences: cela est une bonne nouvelle. De la crise découlent des actions. Le mur est frappé: en 2023, abattons-le! Pour rebâtir solidement un réseau de médecins de famille capable de répondre aux besoins d’une population vieillissante. – Dre Geneviève Dechêne Vous souhaitez vous aussi faire valoir votre point de vue sur un enjeu du système de santé? Apporter une réflexion vis-à-vis de votre profession? Envoyez-nous un texte d'opinion à titre de professionnel de la santé ou d'association en santé, afin qu'il soit relayé sur le site. 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