Axel Kahn, à pied sur les chemins de France - Itinéraire d’un généticien en quête de beauté

Mais qu’est-ce qui a bien pu pousser Axel Kahn, 70 ans, médecin, généticien, chercheur et homme politique, à se lancer à pied sur les chemins de France ? « Je suis parti en quête de beauté. Pour moi, il n’y a pas d’humanité sans beauté », répond-il laconiquement à Profession Santé, entre deux séances de dédicace*.Nous l’avons croisé peu après sa conférence Par les chemins, marcher du Moyen Âge à aujourd’hui, donnée le 19 novembre dernier au musée de Cluny (le monde médiéval), à Paris. Une rencontre organisée en lien avec l’exposition Voyager au Moyen Âge, qui s’y poursuit jusqu’au 23 février 2015.Axel Kahn a arpenté son pays à pied, en solitaire, en 2013 et 2014. « Une traversée lente et attentive de la France », précise-t-il dans son livre. En totale liberté, pour un itinéraire parcouru en deux diagonales : d’abord, des Ardennes au Pays basque, soit de la frontière belge à l’Espagne; puis de la Pointe du Raz (Bretagne) à Menton, à la frontière italienne. Itinéraire, dis-je, car le mot voyage n’apparaît qu’au 16e siècle. Avant, on parlait d’itinéraire.Axel Kahn désirait voir comment se porte son pays, dresser par lui-même un bilan de santé, humain et social, de la France, loin des statistiques ou des rapports d’experts. Le savant itinérant a donc choisi de se confronter aux intempéries, en éprouvant la fatigue et la joie des rencontres. Sac au dos, mais en ayant pris soin de réserver ses hôtels.BonheurDans la file venue l’écouter, j’entends deux dames se demander s’il avait du temps à perdre. Comme en écho, Axel Kahn dira lors de sa conférence : « J’ai parcouru, observé et analysé la France… Comme Oscar Wilde, qui voulait faire de sa vie une œuvre-d’art, je veux dire le bonheur qu’on éprouve en marchant, à la recherche de la beauté du monde, du paysage patrimonial et des rencontres. »La marche de longue distance offre aussi une singularité qu’on retrouve dans le principe même de l’université, affirme Axel Kahn, ex-président de l’Université Paris Descartes. Pour qui prend le temps de le regarder, en effet, le pays se présente, à pas d’homme, comme « une université à ciel ouvert ». « Quand on marche, on comprend comment la France est illisible sans référence à l’histoire, et surtout celle du Moyen Âge. »ParadoxeChemin faisant, il relève un curieux paradoxe. Alors qu’on vivait en moyenne autour de 45 ans à l’époque médiévale, on avait le souci de la pérennité. « L’artisan travaillait pour les générations futures. Il était créateur de l’instant, certes, mais pour l’éternité. Son œuvre s’opposait à la brièveté de la vie. »Aujourd’hui, avec une espérance de vie qui, pour beaucoup, frôle les 100 ans, « ce qu’on fait n’a pas de solidité pour plus de quelques générations ». Et encore, à peine produites, bien des œuvres de technologie sont déjà obsolètes. « Plus on vit vieux, et moins on a le souci de l’avenir. C’est curieux, non ? Qui se soucie encore de ce qu’il va laisser aux générations qui nous suivent ? » La promotion de soi-même, le développement personnel, dit-il, prend le dessus. « On n’a pas plus d’horizon que la magnificence de notre nombril, et c’est triste ! »Axel Kahn a aussi mesuré, chemin faisant, la force d’attachement au territoire et « la force d’une histoire dans laquelle on se sent inséré ». En parlant avec des villageois, il découvre comment l’enracinement constitue l’un des éléments de résistance aux crises modernes. « J’ai constaté en maints endroits la fierté d’appartenir à un territoire qui continue à vivre par le souci qu’on met à le défendre, à le promouvoir. »Il évoquera aussi les commanderies templières, les pardons de Bretagne, ou encore les milliers de croix de bois des morts de l’Argonne, lors de la Première Guerre mondiale. Mais aussi et surtout la France de 2014, parfois désertifiée ou victime, comme tant d’autres pays, des ravages de la mondialisation, avec des régions sinistrées qui peinent à se relever d’une transition industrielle mal vécue.La grâceQuelques instants de grâce aussi, comme à Vézelay, à la basilique Sainte-Marie-Madeleine, dans ces lieux où, disait-on jadis, les anges prenaient, la nuit, le relais des hommes pour élever la beauté. « Figé par l’émotion, j’avais les mains moites, avec une sudation légère », raconte Axel Kahn. « Je me demandais ce qui s’est passé dans la tête des maîtres d’œuvre pour qu’au jour du solstice d’été, on puisse voir, au centre de la nef, à espaces réguliers, des flaques de lumière faire resplendir de l’intérieur cet édifice roman. »Une émotion ressentie face à la beauté, résume-t-il, mais surtout, « face à la force du sentiment qui habitait les énergies des bâtisseurs. Moi qui suis d’un agnostisme d’airain, j’étais fasciné par la foi et l’énergie qui ont amené à créer tant de beauté dans un souci d’éternité. »Il avoue aussi « avoir frôlé le sublime à Conques », à l’abbatiale Sainte-Foy, village situé sur l’un des quatre grands Chemins de Compostelle. « La luminosité déclinante du jour et la croissance de la lune jouaient dans les vitraux modernes de Soulages. J’éprouvais un état d’esprit, une émotion qui l’emportait sur tout autre sentiment et faisait disparaître en moi tout autre référence. »Il était seul, mais pas tout à fait seul non plus sur les chemins de France, Axel Kahn. Il animait en effet un blogue et recourait aux réseaux sociaux pour évoquer ses découvertes à mesure de sa progression. « Le virtuel ne doit être qu’un moyen de mieux faire vivre le réel. Surtout, il ne faut pas l’utiliser en remplacement de la réalité », précise-t-il à Profession Santé.* Pensées en chemin, ma France, des Ardennes au Pays basque; Stock, 2014.

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