Attentat de Québec: «Plus difficile de rencontrer les familles que d’opérer les victimes» - Dr Julien Clément

Le chef de la traumatologie à l’Enfant-Jésus, le Dr Julien Clément, a trouvé plus difficile de rencontrer les familles des victimes que d’opérer les patients.Le Dr Julien Clément est chirurgien en traumatologie. Ancien médecin dans l’armée canadienne, il a servi trois fois en Afghanistan. Des patients atteints de blessures par balle, il en a vus, mais dans un contexte de guerre. Aujourd’hui chef de la traumatologie au CHU de Québec, il demeure dans la Capitale et pratique à l’Hôpital de l’Enfant-Jésus. Il ne s’attendait pas à recevoir un jour de nombreuses victimes blessées par arme à feu lors d’un attentat terroriste perpétré dans sa propre ville.L’inconcevable est survenu dimanche soir quand un individu a ouvert le feu dans une mosquée de Sainte-Foy un soir de prière. À l’issue de la fusillade, les morts et les blessés étaient nombreux. Un triage a permis de diriger ces derniers vers les hôpitaux les plus appropriés à leur état: deux ont été amenés à l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie parce qu’ils étaient en arrêt cardiorespiratoire, un au CHUL pour choc nerveux, 12 nécessitant moins de soins à St-François-d’Assise, et les cas les plus graves ont été transportés au service de traumatologie de l’Enfant-Jésus.Cet établissement ne dispose pas d’un plan d’urgence qui serait déployé en cas d’attaque terroriste pouvant provoquer un très grand nombre de blessés. Il existe toutefois un Code orange afin d'apporter de très vastes renforts lors de situations hors de l’ordinaire, mais il n’a pas été déclenché dimanche en raison du faible nombre de victimes attendues.Le Dr Clément n’était pas de garde ce soir-là. Il a reçu un appel lui demandant de se rendre à l’hôpital parce qu’on y recevrait les blessés d’une fusillade survenue vers 19h56. À ce moment, l’Enfant-Jésus disposait de deux équipes au bloc opératoire, plus le personnel d’urgence. Sans lancer l’alerte maximale, une douzaine de médecins supplémentaires, des intensivistes, des anesthésiologistes, des chirurgiens, des urgentologues en plus d’infirmières ont été appelés en renfort. Plusieurs autres médecins ont spontanément appelé l’hôpital pour savoir si leurs services seraient requis, ce qui n’a pas été le cas.En deux heures à peine, presque toutes les victimes en danger de mort avaient été opérées. Des interventions chez des patients qui avaient des blessures aux bras et aux jambes ont eu lieu jusqu’à lundi matin. Lundi midi, le Dr Clément a pu confirmer que trois des cinq blessés seraient en mesure de quitter l’hôpital au cours des prochains jours. Quant aux deux autres, qui présentaient notamment des blessures très graves à l’abdomen, leur vie n’était plus menacée, mais ils subiront d’autres chirurgies au cours des prochains jours et resteront hospitalisés pendant un bon moment.Préparés pour faire faceDans les jours qui ont suivi l’attentat du Bataclan à Paris, des médecins français en traumatologie qui avaient soigné des blessés avaient confié qu’ils n’étaient pas préparés à faire face aux blessures extrêmement graves causées par des Kalachnikov. Mais à Québec, le Dr Clément a affirmé que ses équipes avaient été en mesure de faire face, car elles traitent parfois des blessés par balle. Ils ont aussi pu le faire grâce à leur entraînement et leur expérience et parce que l’arme utilisée pour ce carnage n’était visiblement pas une Kalachnikov, contrairement à ce que des médias avaient rapporté au soir du drame.«Ils ont été blessés avec des balles de petit calibre, a-t-il indiqué. Si ça avait été des projectiles de AK47, peu d’entre eux auraient sans doute survécu. Je lève tout de même mon chapeau aux équipes chirurgicales qui les ont opérés.»Les trois phases d'une situation critique Au lendemain de l’attentat, une voiture de police se trouvait toujours à la porte de l’urgence de l’Hôpital de l’Enfant-Jésus.«Dans une situation critique comme celle-là, a décrit le Dr Clément à Professionsante.ca, on vit trois phases: d’abord un début de chaos. On attend l’arrivée des patients, on ne sait pas exactement combien ils seront ni la nature de leurs blessures, mais il faut planifier les soins et les ressources. Ce chaos est suivi d’une période d’intensité, puis d'une dernière de recouvrement. Ce fut très rapide. En deux heures à peine, tout était fait.»Est-ce plus stressant quand on sait que ces gens ont été blessés lors d’un attentat? «Il y a du bon stress et du mauvais stress, répond-il. Ça dépend des gens. Chez moi, c’est du bon stress.»Plus difficile de rencontrer les famillesLe volet que le Dr Clément a trouvé le plus difficile n’a pas été d’assister des collègues lors de chirurgies ou de planifier l’ensemble des opérations. Le côté le plus dramatique a été de rencontrer les familles des victimes. Près de 80 parents anxieux se trouvaient près de la porte de la salle d’opération pour y attendre des nouvelles de leurs proches, qu’elles souhaitaient positives. Il est allé les rencontrer deux fois dans la soirée.«C’est une opinion personnelle, explique-t-il, mais en pareille situation, je crois que les gens ont besoin d’entendre la vérité, pas de se faire donner de faux espoirs. Il ne faut pas non plus leur faire trop peur, mais ils ont besoin de rencontrer une personne empathique, qui leur donnera un état de la situation sans lunettes roses. Il y a un réconfort à en savoir plus.»Le Dr Julien Clément aura vécu des situations très difficiles lors de ses trois séjours au Afghanistan, mais s’il a quitté l’hôpital avec le sentiment du devoir accompli, il dit qu'il n’oubliera jamais le soir du 29 janvier 2017 quand un attentat a causé la mort de six innocents et provoqué des blessures à près d’une vingtaine d’autres dans sa propre ville, Québec, une cité paisible et sécuritaire qui se croyait bien loin d’un événement de ce genre.

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