Apprendre à dire NON

Le chemin qui mène à une carrière en médecine est pavé de grandes ambitions. Dès le début de ses études de premier cycle, l'étudiant en médecine doit dire «oui» à tout: «Oui, je peux suivre ces cours supplémentaires»; «Oui, je peux être le président de ce club universitaire»; «Oui, je peux ajouter une autre activité parascolaire à mon emploi du temps chargé»; «Oui, je peux en faire plus dans le même laps de temps». Cette constante propension à toujours assumer plus de tâches, plus de responsabilités et plus de travail est-elle un trait de caractère que l'on retrouve plus fréquemment chez les personnes qui postulent à l'école de médecine, ou s'agit-il d'un comportement acquis et renforcé positivement à mesure qu’elles progressent dans leurs études? Arrivant à la fin de mon parcours éducatif et me propulsant rapidement à un poste au sein d’une nouvelle clinique, j'ai fini par reconnaître que la propension à toujours dire «oui» est plus un comportement acquis qu'autre chose. Ce comportement acquis, qui était impératif pour ma réussite à ce stade de ma vie (était-il vraiment nécessaire?), a davantage été ressenti comme un fardeau qu'un attribut positif qui m'a apporté du succès. Grâce à une connaissance, j'ai entendu parler d'un cours de réduction du stress basé sur la pleine conscience, que j'ai décidé de suivre. Au départ, j'ai dit «oui» à ce cours, parce qu'il en existe une version destinée aux personnes souffrant d'infertilité. Je voulais savoir si je me sentirais à l'aise de le recommander à mes patients. Je me suis dit qu'au moins, j'apprendrais quelques stratégies pour réduire le stress dans mon quotidien. J'étais nerveuse cependant, car le temps à y consacrer - 2,5 heures par semaine, plus les «devoirs» - semblait être impossible à trouver. D'une manière très élémentaire, presque à la Marie Kondo, le cours m'a invitée à prêter attention aux événements de ma vie quotidienne et, en particulier, à la manière dont mon esprit et mon corps y répondent. J'ai été très étonnée de constater à quel point ma routine quotidienne, qu'elle soit domestique ou professionnelle, contribue à mon sentiment d'accablement. Je me suis soudain posé une série de questions très fondamentales sur tout ce que je fais, et surtout si cela pourrait contribuer à mon sentiment d'accablement: «Pourquoi est-ce que je fais ça? Qui m'a dit que cela devait être fait? Puis-je arrêter de le faire ou changer la façon dont je le fais?» Sans surprise, les réponses à ces questions étaient presque toujours: «Je fais cela parce que je dois le faire, parce que je me suis dit que je devais le faire, et je peux changer ou arrêter ce que je fais si je m'en donne la permission.» La première chose que j'ai faite lorsque je suis arrivée dans mon nouveau poste a été d'ajouter mon adresse électronique professionnelle dans le client de messagerie de mon iPhone. Pourquoi ai-je fait cela? Parce que c'est ce que j'ai toujours fait: mon adresse électronique universitaire, celle de ma résidence et celle de ma bourse ont toujours été là parce que j'avais besoin d'y avoir accès en permanence. Mais j'ai rapidement constaté que mes courriels professionnels continuaient à arriver après mon départ du travail et que j'étais encline à les lire - la plupart étaient des courriels de collègues qu'il était facile de trier si une réponse était nécessaire. Cependant, certains courriels provenaient de patients et j'avais l'impression que je devais y répondre avant d'aller me coucher - ce qui me causait un stress considérable, à ma famille et à moi. Lorsque je me suis arrêté pour me demander pourquoi je vérifiais mes courriels le soir, ma réponse a été: «parce que c'est ce que j'ai toujours fait». Lorsque j'ai réfléchi à cet acte de plus près, j'ai réalisé que c'était finalement ma décision de le faire et que, par conséquent, cela pourrait aussi être ma décision de ne pas le faire. Le lendemain, j'ai désinstallé mon adresse courriel professionnelle de mon iPhone et j'ai programmé une réponse automatique indiquant que les courriels ne sont pas régulièrement surveillés le soir et la fin de semaine. J’ai pris cette décision il y a six semaines et je n'y ai plus repensé. Quelques semaines après avoir terminé mon fellowship, j'ai reçu une invitation de la part d'une revue scientifique à fort impact dans mon domaine pour évaluer un article qui leur avait été soumis. J'ai estimé que, pour rendre service à la communauté scientifique, je devais accepter l'invitation. Cependant, absorbée par mon arrivée dans une nouvelle clinique et de celle de mes enfants dans leurs nouvelles écoles, en plus d'apprivoiser mes nouveaux rôles et responsabilités, j'ai pris à contrecœur le temps de réviser l'article. Je n'avais pas vraiment envie de le faire, j'avais volé du temps à d'autres choses qui étaient plus importantes pour moi à ce moment-là, et le fait de l'avoir sur ma liste de choses à faire n'a fait qu'ajouter du stress à ma vie déjà bien remplie. Une fois que j'ai soumis les critiques, je me suis dit que je n'accepterais plus de révision à moins d'avoir réellement le temps de le faire. Mais quelques semaines plus tard, lorsqu'une autre proposition de révision m'est parvenue, je n’ai pas pu m'empêcher de faire passer le curseur de ma souris sur le bouton d'acceptation... à nouveau. Avant de cliquer dessus, je me suis posé des questions-clés en rafale: «Pourquoi est-ce que je fais ça? Qui a dit que je devais le faire? Et si je ne le fais pas?» Mes réponses: «Je ne suis pas certaine de savoir pourquoi je fais cela; je ne veux certainement pas le faire. Personne n'a dit que je devais le faire, je pense simplement que je dois le faire. Et, si je ne le fais pas, ils trouveront quelqu'un d'autre qui le fera.» Et, aussi simple que ça, je me suis donné la permission de dire NON. Au début, j'ai presque regretté de ne pas avoir dit oui - il y avait un sentiment de culpabilité - la pensée que si j'avais fait assez d'efforts, j'aurais pu trouver le temps quelque part. Mais cette culpabilité s'est vite évanouie lorsque je me suis rappelé ma décision de me consacrer plus de temps, ainsi qu’aux choses importantes pour moi. Quelques semaines plus tard, lorsqu'une autre demande de révision m'est parvenue, il m'a été facile de dire NON, sans même réfléchir. Je n'ai pas commencé à dire non à chaque idée, opportunité ou tâche qui m'est présentée - c'est loin d'être le cas. Cependant, j'ai pris l'habitude de mettre un peu d'espace entre le stimulus d'une tâche et ma réaction. Maintenant, au lieu de dire automatiquement oui et de me demander ensuite pourquoi je suis toujours débordée, épuisée et apparemment embourbée dans des tâches sans fin qui n'apportent que peu de plaisir ou de bénéfice global à ma vie, je sélectionne mieux les tâches dans lesquelles je m'engage. Il se peut que je n'aie pas toujours le temps de les faire, ou qu'elles soient toujours accablantes. Mais si une raison importante pour moi m'a fait dire oui, cela, en soi, réduit mon stress. Enfin, j'ai également appris qu'il y a une myriade de choix entre dire «oui» ou «non» à quelque chose qui se présente. Peut-être que dans le cas de la révision d'un article, les choix sont binaires à ce moment-là. Mais en réalité, je peux être certaine qu'il y aura de nombreuses occasions dans le futur de dire oui, ce qui fait que la réponse est «pas maintenant, mais plus tard». En ce qui concerne ma messagerie professionnelle, elle est facilement accessible depuis mon ordinateur ou le navigateur de mon iPhone, ce qui me permet de consulter mes courriels si je le souhaite, et de choisir ceux que je lis et ceux qui attendent. Et pour tous les autres cas quotidiens où j'aurais pu créer un précédent pour toujours entreprendre, je me suis donné la permission de m'arrêter et d'évaluer mon raisonnement, et ce seul fait m'a donné un sentiment de liberté - la prise de conscience que je peux choisir ce que je décide de faire.

Apprendre à dire NON

Pour accéder au contenu, connectez-vous ou créez un compte gratuit.

More Blog Posts in This Series

Les personnes que nous rencontrons en vacances peuvent faire toute une différence

Lorsque le pire survient

Quand une chirurgienne rejoint un club de natation

Derrière ce blogue:

Ginevra Mills

Catégories connexes