Apport de l'évaluation dans les décisions : l'initiative québécoise de l'INESSS

En juillet 2010, une nouvelle a secoué le milieu pharmaceutique lorsqu'une compagnie pharmaceutique de renom a comparu devant le comité des finances du sénat américain. Le comité du sénat révisait les risques pour la santé du médicament Avandia utilisé pour traiter des cas de diabète. Le comité en était venu à la conclusion que la compagnie pharmaceutique avait minimisé les risques potentiels du médicament, mais surtout qu'elle avait utilisé les services d'un écrivain fantôme (ghostwriter).Dans l'édition de décembre 2010 de la revue The Atlantic Monthly, l'auteur Carl Elliott raconte l'histoire d'un jeune homme diplômé en biologie développementale qui devient écrivain fantôme pour le compte d'une agence de communication médicale.Pour l'auteur, le travail d'écrivain fantôme est relativement simple. L'agence de communication médicale et la compagnie pharmaceutique qui finance le projet s'entendent sur le titre de l'article et sur un auteur potentiel, habituellement une personne du milieu académique. Ensuite, l'écrivain fantôme écrit l'article ou les grandes lignes que la compagnie pharmaceutique veut transmettre. Enfin, l'article est remis à l'auteur responsable du contenu pour qu'il revoie le document et le signe sans qu'il y ait mention de l'agence de communication médicale, de la compagnie pharmaceutique ou de l'écrivain fantôme (Elliott, 2010).En 2009, la revue The Economist relatait un événement qui a ébranlé le Journal of the American Medical Association (JAMA). Dans un article du JAMA, un chercheur comparait des traitements pour réduire la dépression après un accident vasculaire cérébral : la résolution de problèmes (discuter avec le patient), un médicament, le Lexapro, et un placebo.Dans cet article, les résultats démontraient que le Lexapro et la technique de résolution de problèmes avaient une action dans la prévention de la dépression, mais l'étude n'était pas concluante (Robinson, 2008). Qu'à cela ne tienne, le chercheur recommandait que le Lexapro soit administré à toute personne ayant souffert d'un accident vasculaire cérébral qui pouvait tolérer un antidépresseur.Mais le chercheur avait omis de divulguer des liens qu'il avait avec la compagnie pharmaceutique fabriquant le Lexapro. Confronté aux faits, le chercheur avait jeté le blâme sur une erreur de mémoire.Dans la foulée de la grande récession de 2007-2008, des cas semblables de conflit d'intérêts ont été signalés à l'Association des économistes américains. Le New York Times donne en exemple un professeur de Stanford qui a coécrit un livre sur les moyens d'éviter que plus de réglementations soient imposées à Wall Street, mais qui omet de dire qu'il siège à un comité de la célèbre agence de notation Moody.Il importe de reconnaître que les compagnies privées font un apport considérable en recherche et développement. Nous avons besoin des compagnies privées pour produire de nouveaux médicaments, innover en science et technologies et créer de la richesse.Mais devant le manque de transparence et les conflits d'intérêts, il devient difficile de juger de la pertinence, de la qualité et de la fiabilité des données qui nous sont fournies.Qu'on pense à l'achat d'appareils technologiques, à l'arrivée de nouveaux traitements pharmaceutiques ou même au choix d'entreprises privées ou de partenariats public privé dans l'octroi de contrats, l'information peut être biaisée par des tierces personnes dont on ignore les intentions.INESSSLe 19 janvier 2011, le gouvernement du Québec a décidé d'aller de l'avant avec son projet d'Institut national d'excellence en santé et en services sociaux (INESSS). L’INESSS succède au Conseil du médicament et à l’Agence d’évaluation des technologies et des modes d’intervention en santé (AETMIS).L’INESSS a pour mission de promouvoir l’excellence clinique et l’utilisation efficace des ressources dans le secteur de la santé et des services sociaux. Il exerce cette mission dans le respect des valeurs d’excellence, d’indépendance, d’ouverture, de rigueur scientifique, de transparence, de probité et d’équité.L’Institut évaluera les avantages cliniques et les coûts des technologies, des médicaments et des interventions en santé et en services sociaux et elle élaborera des recommandations et des guides de pratique clinique visant leur usage optimal.Avec l'INESSS, le gouvernement cherche à dépolitiser les décisions liées à l'évaluation des nouvelles technologies et à l'établissement des priorités.L'INESSS est d'autant plus important qu'une étude de Miners affirmait que le secteur privé sous-évalue les analyses coûts/efficacité. Les organisations à but lucratif sont plus sujettes à rapporter des résultats et des conclusions favorables lors d'études cliniques que des organisations sans but lucratif (Miners, 2004).Dans une autre étude, on évalue que les organisations à but lucratif ont 5,3 fois plus de chance de recommander l'utilisation de médicaments expérimentaux que des groupes sans but lucratif (Als-Nielsen, 2003).L'INESSS pourrait devenir une aide essentielle à la prise de décision et à l'établissement des priorités. L'INESSS peut faire partie de la solution si le leadership, la vision et les ressources sont au rendez-vous pour évaluer les nouveaux développements en science et technologies.Les gouvernements et les organismes de surveillance ont un rôle à jouer en réglementant et en encadrant de façon efficace le travail et les résultats des organisations publiques et privées.Les compagnies privées tout comme les individus qui constituent une société doivent se comporter en citoyen honnête et responsable où la transparence, l'absence de conflit d'intérêt et la rectitude sont la norme.Winston Churchill disait une phrase qui pourrait être utile à cet écrivain fantôme : « The only guide to a man is his conscience; the only shield to his memory is the rectitude and sincerity of his actions. It is very imprudent to walk through life without this shield, because we are so often mocked by the failure of our hopes and the upsetting of our calculations; but with this shield, however the fates may play, we march always in the ranks of honour. »BibliographieAls-Nielsen, B., Chen, W., Gluud, C., Kjaergard, L.L. (2003). Association of funding and conclusions in randomized drug trials: a reflection of treatment effect or adverse events. Journal of the American Medical Association, 290: 921-928.Elliott, C. (2010). Playing doctor. How to spin pharmaceutical research. The Atlantic Monthly, décembre 2010.Miners, A.H., Garau, M., Fidan, D., Fischer, A.J. (2004). Comparing estimates of cost effectiveness submitted to the National Institute of Clinical Excellence (NICE) by different organizations: retrospective study. British Medical Journal, 330: 65-69.Robinson, R.G., Jorge, R.E., Moser, D.J., Acion, L., Solodkin, A., Small, S.L., Fonzetti, P., Hegel, M., Arndt, S. (2008). Escitalopram and Problem-Solving Therapy for Prevention of Poststroke Depression: A Randomized Controlled Trial. JAMA, 299(20): 2391-2400.The Economist (2009). Pity the messenger. A leading journal unveils a controversial policy on financial disclosure. The Economist, 26 mars 2009.

De la gestion au leadership

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Derrière ce blogue:

Benoit Gareau