Antipsychotiques atypiques: comment conseiller les patients sur la prise de poids et les effets indésirables métaboliques?

L’une des principales raisons pour lesquelles les patients arrêtent de prendre leurs antipsychotiques de deuxième génération (dits atypiques) est la prise de poids importante qu’ils subissent. Il existe également d’autres effets métaboliques indésirables. Chez les enfants comme chez les adultes, ces effets peuvent entraîner un diabète, des maladies cardiovasculaires et d’autres affections.Les médecins doivent renseigner les patients sur ce à quoi ils doivent s’attendre, les conseiller sur des choix de vie sains et envisager un traitement supplémentaire pour atténuer les effets sur la santé.Comprendre l’ampleur des effets néfastesLa Dre Dina Panagiotopoulos est endocrinologue pédiatrique au B.C. Children’s Hospital de Vancouver. Bien qu’elle ne prescrive pas d’antipsychotiques atypiques, elle est témoin des changements métaboliques chez les enfants et les adolescents qui reçoivent ces médicaments. La prise de poids peut rapidement évoluer vers l’obésité ou le surpoids, augmentant les facteurs de risque de résistance à l’insuline ou de diabète de type 2, en particulier à la période vulnérable de la puberté. Ces traitements peuvent également provoquer des changements au niveau de la prolactine, ce qui peut entraîner un retard de la puberté ou un syndrome des ovaires polykystiques (SOPK), signale la Dre Panagiotopoulos.Ses recherches sur ces effets ont conduit la province à financer un programme de santé mentale et métabolique pour aider cette population de patients. «Notre objectif est d’essayer d’atténuer les effets secondaires chez les enfants qui prennent des antipsychotiques de deuxième génération», explique la Dre Panagiotopoulos, qui dirige ledit programme. Les psychiatres y orientent les patients dès qu’ils prescrivent des antipsychotiques atypiques. L’équipe, qui comprend une diététicienne, travaille avec les patients et les familles en tenant compte de l’ensemble des besoins de l’enfant. Ces derniers souffrent souvent de troubles mentaux graves, mais «nous essayons d’être très attentifs aux problèmes de santé mentale dans le cadre de nos conseils proactifs». Malgré la littérature croissante sur ces enjeux, la Dre Panagiotopoulos affirme qu’elle voit encore des cas où les médecins prescripteurs n’offrent pas de conseils proactifs ou de suivi régulier. «Lorsque je vois leurs patients, ils ont pris beaucoup de poids. Si je les avais vus des années plus tôt, j’aurais pu essayer d’atténuer un peu ce phénomène».Le fardeau le plus lourd pèse sur les patients qui prennent le médicament pour la première fois. Par exemple, dans une étude observationnelle portant sur des personnes souffrant d’un premier épisode de psychose, la prise de poids moyenne des patients sous olanzapine a été de 15,4 kg sur une période de deux ans, contre 7,5 kg pour les patients sous halopéridol. L’étude du Dr Robert Zipursky et de ses collègues du Centre for Addiction and Mental Health (CAMH) a été publiée dans le British Journal of Psychiatry en 2018.La Dre Margaret Hahn dirige la clinique de santé mentale et de métabolisme du CAMH avec le Dr Sri Mahavir Agarwal. «Il n’est pas rare que des personnes prennent plus de 100 livres», mentionne la Dre Hahn, tout en précisant que la population orientée vers la clinique est ciblée. D’après l’expérience des docteures Panagiotopoulos et Hahn, aucun agent n’est supérieur à un autre en ce qui concerne les effets indésirables chez les sujets qui prennent des antipsychotiques pour la première fois. Les études suggérant que l’aripiprazole avait des effets indésirables moins graves que l’olanzapine ou la quétiapine ont été menées chez des patients qui avaient déjà pris des antipsychotiques et qui avaient déjà pris du poids avant l’étude. «Chez les personnes qui n’ont jamais été exposées à ces médicaments, il a été démontré que nous ne disposons pas d’un antipsychotique métaboliquement neutre et que la différence de risque entre les agents n’est pas aussi flagrante», indique la Dre Hahn.Lire aussi: Stratégies pour limiter la polypharmacie en psychiatrieConseils lors de la prescriptionLes médecins doivent conseiller à l’avance les patients et leurs familles sur la prise de poids. S’ils ne savent pas que cela se produira, ils seront plus enclins à arrêter leur traitement, observe la Dre Hahn.Lorsque les patients hésitent à prendre des antipsychotiques de deuxième génération, la médecin leur rappelle que si l’on ne se sent pas bien mentalement, on ne peut pas accomplir de grandes choses. Elle signale que les médecins et les patients peuvent faire en sorte de réduire les effets indésirables. «L’autre chose importante à faire savoir aux patients, c’est qu’ils ne sont pas responsables de la situation», poursuit la Dre Hahn. «Souvent, il y a des reproches, comme "vous mangez trop, vous ne bougez pas assez", mais ce n’est pas là la cause unique (de leur prise de poids). Il faut leur expliquer qu’il s’agit d’un effet secondaire très biologique d’un médicament qu’ils doivent souvent prendre. Les conseils sur le mode de vie ne suffisent pas.» La clinicienne ajoute qu’elle rencontre également la famille du patient pour qu’elle comprenne que la prise de poids n’est pas de la faute de l’individu.Le mécanisme à l’origine de la prise de poids est multifactoriel. Les antipsychotiques peuvent induire des envies de glucides simples et créer un comportement sédentaire, souligne la Dre Panagiotopoulos. Le fait de savoir cela peut aider les patients et leurs familles à adopter des comportements sains, comme faire de l’exercice et éviter les boissons sucrées et les en-cas. Il convient de rappeler que les personnes souffrant de troubles mentaux graves peuvent ne pas s’adapter ou adhérer aux interventions sur le mode de vie de la même manière que la population en général.Des études in vitro suggèrent l’existence d’un mécanisme biologique au niveau cellulaire, indique la Dre Hahn. Selon un article de synthèse publié en 2023 par cette dernière, le Dr Agarwal et leurs collègues dans Current Psychiatry Reports, certains patients peuvent présenter un risque plus élevé de prise de poids excessive. Les personnes qui n’ont jamais été exposées aux antipsychotiques, celles qui sont jeunes et de sexe féminin ont un risque accru de prise de poids. La recherche suggère également que certains enfants peuvent avoir un polymorphisme génétique qui les rend plus susceptibles de prendre du poids avec ces médicaments, précise la Dre Panagiotopoulos. La dose et la durée du traitement ont un effet sur l’ampleur de la prise de poids ou des troubles métaboliques.Lire aussi: Erreur de pilulier: une patiente reçoit un anticoagulant à la place de son antipsychotiqueSurveiller la santé métabolique«Notre message à tous est le suivant: il faut établir une base de référence», déclare la Dre Panagiotopoulos. La taille, le poids, l’IMC, le tour de taille, la tension artérielle, la glycémie à jeun et les lipides doivent être relevés avant que le patient ne commence à prendre un antipsychotique atypique. D’autres facteurs doivent également être contrôlés chez les enfants ou les adolescents prenant certains antipsychotiques atypiques, tels que les taux d’ASAT, d’ALAT, de prolactine et d’hormone de stimulation de la thyroïde. Ces facteurs doivent être surveillés régulièrement, tous les mois pendant les trois premiers mois, puis tous les trois mois.Un groupe de travail de la Canadian Alliance for Monitoring Effectiveness and Safety of Antipsychotics in Children (CAMESA) a formulé des recommandations en matière de surveillance. Elles ont été publiées dans le Journal of the Canadian Academy of Adolescent Psychiatry en 2011.«Au-delà de la prise de poids, il arrive souvent que les médecins ne surveillent pas d’autres effets indésirables liés au métabolisme», constate la Dre Hahn. Il s’agit notamment de la résistance à l’insuline, de l’élévation du taux de glucose et de l’hypercholestérolémie. «Ces effets peuvent également se produire même lorsque ces médicaments sont utilisés à une dose plus faible, comme dans le cas d’une utilisation hors indication.»Envisager un traitementL’éducation sur les modifications du mode de vie est la pierre angulaire pour aider ces patients à faire face aux effets indésirables des médicaments antipsychotiques, mais un traitement pharmaceutique peut également être nécessaire.La metformine est le traitement de première intention pour la prise de poids associée aux antipsychotiques. Elle peut être associée à une thérapie cognitivo-comportementale pour plus d’efficacité. «Les études montrent que la metformine est probablement plus efficace lorsqu’elle est introduite tôt, dans le cadre d’une stratégie de prévention», signifie la Dre Hahn. Les données relatives à l’innocuité et à l’efficacité de la metformine plaident en faveur de son utilisation.Les lignes directrices canadiennes 2020 sur l’obésité comprennent un chapitre sur la prise en charge de l’obésité morbide et de la santé mentale. Les lignes directrices indiquent que les peptides glucagon-like-1 (GLP-1) sont les plus sûrs et les plus efficaces pour traiter la prise de poids due aux antipsychotiques atypiques. D’autres médicaments approuvés pour la prise en charge de l’obésité, dont le sémaglutide, peuvent également aider ces patients. La Dre Hahn et ses collègues ont récemment publié dans la revue Therapeutic Advances in Psychopharmacology une série de cas de patients prenant du sémaglutide pour une prise de poids associée aux antipsychotiques. Les patients n’avaient pas répondu à la metformine.«Il existe un optimisme prudent quant à la possibilité d’utiliser ces médicaments pour nos patients», estime la Dre Hahn. Son message principal est de «traiter les personnes atteintes de maladies mentales de la même manière que l’on traiterait au minimum une personne de la population générale, en tenant compte du fait que les personnes atteintes de maladies mentales graves qui prennent ces médicaments peuvent avoir besoin d’interventions plus intensives et plus précoces», précise la médecin.Lire aussi: Quels sont les antidépresseurs de première intention qui font le plus grossir?Prescrire pour les bonnes raisonsLes antipsychotiques atypiques sont approuvés pour un certain nombre de troubles mentaux, notamment les troubles du spectre de la schizophrénie, les troubles bipolaires, l’irritabilité dans les troubles du spectre autistique et les troubles dépressifs majeurs réfractaires.Des études internationales et canadiennes suggèrent que les antipsychotiques sont de plus en plus prescrits en dehors des directives, quel que soit l’âge. Certains médecins peuvent prescrire des antipsychotiques atypiques hors indication pour aider les gens à dormir ou lorsqu’ils se sentent anxieux (sans souffrir d’un trouble anxieux) ou pour contrôler leur agitation. Ils sont également prescrits lorsqu’il y a moins de preuves à l’appui de leur utilisation, comme dans le cas du TDAH et de la démence. Ces utilisations hors indication impliquent généralement de faibles doses, mais les patients qui les reçoivent subiront également des effets métaboliques, même s’ils sont moindres. Les lignes directrices canadiennes sur l’obésité traitent de l’utilisation non indiquée des antipsychotiques atypiques, en citant des études montrant que les patients prennent du poids, présentent une augmentation des anomalies des triglycérides et un risque plus élevé de développer un diabète. La Dre Hahn considère que «là où les cliniciens peuvent faire la différence, c’est en évitant de les utiliser dans la mesure du possible pour ces cas non approuvés, comme l’anxiété et le sommeil, les troubles du comportement et ainsi de suite». Après avoir prescrit des antipsychotiques atypiques, il faut s’assurer que le traitement a un effet, recommande pour sa part la Dre Panagiotopoulos. «Ces médicaments peuvent être très utiles. Ils peuvent changer la vie», explique-t-elle. «Je ne dis pas que les enfants ne devraient pas se voir prescrire ces médicaments si un psychiatre ou quelqu’un d’autre pense qu’ils en ont besoin, mais notre message clé a été de réévaluer l’indication pour s’assurer que le médicament est utile, et aussi d’essayer d’atténuer les effets secondaires en donnant des conseils proactifs sur l’hygiène de vie.»

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