Alors que leur modèle d’affaires bat de l’aile, les chaînes de pharmacies américaines se refont une beauté

Des magasins Walgreens avec une superficie divisée par quatre, des cliniques de soins intégrées aux pharmacies CVS. Si ces essais s'avèrent concluants, ces nouveaux établissements pourraient bien améliorer l’accès aux soins et créer un lien plus durable avec les clients, selon les analystes.«Tout le monde observe les soins de santé en disant: "Oh oui, ce marché est mûr pour du changement"», note Neil Saunders, directeur général de la société de conseil et d'analyse de données GlobalData. «Mais ce n’est pas un secteur facile à changer.» Le PDG de Walgreens, Tim Wentworth, a récemment déclaré que son entreprise pourrait fermer «une part non négligeable» de magasins peu performants au cours des prochaines années. CVS Health procède à une série de fermetures. Rite Aid a déposé son bilan. Des milliers de pharmacies indépendantes ont fermé leurs portes au cours des cinq dernières années.Ces fermetures risquent de créer des inégalités: une analyse de l'Associated Press publiée en juin a révélé que les quartiers urbains à majorité noire et latino comptaient moins de pharmacies par habitant que les quartiers à majorité blanche. Il reste encore plus de 30 000 pharmacies disséminées à travers tout le pays, mais même les dirigeants de Walgreens admettent que le marché est saturé. Les magasins ont dû faire face à la concurrence accrue d'Amazon et d'autres enseignes proposant des prix plus bas, comme Walmart ou Dollar Tree. Ils doivent également faire face aux vols, à l'augmentation des coûts et à la diminution du remboursement des ordonnances.À lire aussi: Amazon teste la livraison de médicaments par droneCertains réagissent en changeant leurs espaces. Walgreens teste actuellement à Chicago un magasin équipé de kiosques numériques où les clients passent leurs commandes. Un comptoir séparé permet de récupérer les articles commandés aux kiosques ou sur internet. L'entreprise a également ouvert une centaine de mini pharmacies axées sur la santé et le bien-être, et proposant des produits de la marque de l'enseigne. Walgreens a commencé à tester ces magasins en 2019 et prévoit d'en ouvrir d'autres cette année.Selon Jim Cohn, porte-parole de Walgreens, les préférences des consommateurs évoluent et l'entreprise visait à les satisfaire «quels que soient l’endroit, le moment ou la manière dont ils veulent faire leurs achats». Neil Saunders note que ces magasins sont moins coûteux à gérer et qu'ils permettent à l'entreprise de desservir des zones qui ne sont pas assez peuplées pour faire vivre un magasin plus grand.Dans l'un de ces magasins d'Indianapolis, seules quatre petites allées séparent la porte d'entrée du comptoir de la pharmacie. Des en-cas sains, des vitamines, du matériel de premiers secours et le mélange habituel d'antiacides et d'Advil peuplent les étagères. Toutefois, on n’y trouve aucun magazine, et seulement une petite sélection de cartes de vœux et de produits de beauté. Le magasin situé à environ 800 mètres d'un Walgreens à l’abandon, est fermé le dimanche.Leonard King, un client, s'y est rendu plusieurs fois. Il assure que ses ordonnances sont prêtes à temps et que le magasin semble avoir des stocks suffisants. «En tant que diabétique, il est parfois difficile de se procurer des médicaments», explique cet habitant d'Indianapolis âgé de 67 ans. Mais il concède regretter de ne pas pouvoir acheter des articles de toilette, par exemple, que l'on trouve dans toutes les grandes surfaces.Le choix d'articles de détail est également plus restreint dans certains magasins CVS Health qui intègrent des cliniques de soins Oak Street Health. La société prévoit d'ouvrir environ 25 de ces combinaisons cette année et 11 autres l'année prochaine, avec des cliniques de taille normale ou plus petite dans les pharmacies.À lire aussi: Aux États-Unis les pharmacies par correspondance progressent, les chaînes de pharmacies reculentCes cliniques peuvent comprendre des médecins de première ligne, des travailleurs sociaux et des personnes chargées d'aider avec les assurances. Elles sont spécialisées dans le traitement des bénéficiaires de Medicare Advantage, une version privée du programme de couverture gouvernemental destiné principalement aux personnes âgées de 65 ans et plus.CVS Health explique installer ces cliniques dans des zones où il manque de soins de première ligne. Elle cible les grandes villes comme Chicago, New York et Dallas pour son déploiement initial. «Si nous pouvons investir davantage en amont pour les patients qui en ont besoin, en améliorant l'accès et la qualité des soins, nous pourrons maintenir les patients en meilleure santé», souligne Mike Pykosz, cadre de la société.Faciliter les choses pour les patients permet d'établir de vraies relations entre eux et le personnel du magasin, et de les fidéliser, fait remarquer Arielle Trzcinski, analyste principale chez Forrester, spécialiste de la santé.Les pharmacies indépendantes ont également peaufiné leur réputation en matière de soins de santé. Selon Kurt Proctor, de la National Community Pharmacists Association, elles se concentrent sur le développement de la vaccination et des tests, encouragé en partie grâce à l'augmentation de ces activités lors de la pandémie de COVID-19.À lire aussi: Cueillette d’ordonnances: Walgreens teste le service «30 minutes ou c’est gratuit»Certaines proposent même des cabinets médicaux ou se spécialisent dans le traitement du diabète. Selon M. Proctor, elles font ce qu'elles ont toujours fait: s'adapter aux besoins de la communauté. «Il y a 19 000 établissements (indépendants) dans tout le pays et il n'y en a pas deux qui se ressemblent», assure-t-il.Ce fait un moment que les pharmacies se lancent dans les soins de santé. Elles ont commencé à intégré des petites cliniques depuis plus de 20 ans. CVS Health s'est lancé dans ce créneau depuis qu'elle a cessé de vendre du tabac, en 2014. Selon Jeff Jonas, gestionnaire de portefeuille chez Gabelli Funds, qui suit le secteur, jusqu'à un quart des pharmacies américaines pourraient se transformer en grandes cliniques de santé, en particulier celles situées dans des zones densément peuplées. Mais l’idée n’a pas encore fait ses preuves, prévient-il. Walgreens a fermé les cliniques de soins VillageMD quelques années seulement après avoir planifié d’en ajouter des centaines à ses magasins. Les analystes affirment que les entreprises tatônnent encore pour savoir ce qui est rentable et ce qui plaît aux clients. Mais une chose est sûre: les pharmacies ne sont plus «la destination de dépannage en Amérique» comme elles l'étaient auparavant, estime M. Saunders. «La situation s’est vraiment détériorée au cours des 10 à 15 dernières années», observe-t-il.

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