Accessibilité: «Il faut aider les médecins à s’organiser»

Professeure au sein du département des sciences de la santé communautaire de la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke, Mylaine Breton est une experte connue et reconnue en organisation des services de première ligne. C’est à ce titre que le ministère de la Santé l’a invitée à soumettre un mémoire dans le cadre de l’étude du projet de loi 11. Proposant 15 recommandations, ce document de 28 pages (consultable à la fin de cet article) conclut que «certaines propositions [du PL11] concernant les rendez-vous en heures défavorables et la prise de rendez-vous en ligne selon les disponibilités des médecins, ainsi que l’accent mis uniquement sur les omnipraticiens risquent d’avoir des impacts négatifs à long terme sur la continuité». «Si on veut faire des changements pour améliorer l’accessibilité, il faut en avoir une vision plus globale. Ce n’est pas qu’une problématique de médecin de famille. Or, c’est ce que sous-entend le projet de loi 11», explique Mylaine Breton en entrevue avec ProfessionSanté.ca. Selon elle, il s’agit plutôt d’un enjeu collectif à travailler dans la collaboration, directement au sein des 330 groupes de médecine familiale (GMF) qui desservent aujourd’hui 80% de la population québécoise. «Les médecins n’ont pas forcément de compétences en gestion. Ils ne sont pas formés pour ça et ne savent pas toujours comment s’y prendre, ni par où commencer, mais ils veulent être accompagnés.» En théorie, «le GMF est un modèle organisationnel très intéressant, car il peut favoriser l’interdisciplinarité qui demeure la clé pour améliorer l’accessibilité grâce à une utilisation optimale des ressources et des expertises», souligne la chercheuse en précisant que «les médecins aiment ce modèle». Elle observe d'ailleurs que «l’exercice en solo n’existe pratiquement plus au Québec». Dans la pratique cependant, le modus operandi des GMF est à géométrie variable. «Les cliniques sont devenues des PME qui peuvent compter jusqu’à 50 employés. Elles se sont organisées par elles-mêmes, sauf que la gestion, c’est une science, et les médecins n’ont pas forcément de compétences en la matière. Ils ne sont pas formés pour ça et ne savent pas toujours comment s’y prendre ni par où commencer, mais ils veulent être accompagnés.» Ce besoin d’aide, Mylaine Breton l’a constaté dans le cadre d’un projet financé par le Fonds de recherche du Québec visant à soutenir l’implantation de l’accès adapté interdisciplinaire dans les GMF. «On offre un coaching externe pour aider les professionnels de la santé à travailler ensemble, car l’interdisciplinarité, il faut l’organiser et la planifier», insiste la professeure dont l’équipe accompagne cinq GMF en Montérégie, un à Laval et un autre à Drummondville. Un service personnalisé, qui fait des envieux, la chercheuse ayant déjà une liste d’attente de GMF voulant en bénéficier. Partage des données Concrètement, les «experts facilitateurs» mis à disposition des GMF commencent par dresser un état des lieux. Six indicateurs ont ainsi été identifiés: le taux de consultations en sans rendez-vous des patients inscrits pour chaque professionnel; le nombre de jours avant le troisième prochain rendez-vous disponible dans l’horaire du professionnel; la proportion des consultations d’un patient avec son prestataire de soins habituel; le taux de rendez-vous où le patient ne s’est pas présenté; l’indice de prise en charge multidisciplinaire; et, enfin, la proportion de plages ouvertes dans les prochaines 48 heures. «On travaille sur chaque indicateur et on y va une bouchée à la fois, dans une logique d’amélioration continue», indique Mylaine Breton Pour établir ces indicateurs, les «facilitateurs» mettent le nez dans les dossiers médicaux électroniques et les agendas des médecins et des infirmières, ainsi que dans les systèmes de prise de rendez-vous. Les données extraites sont anonymisées avant d’être colligées et analysées puis partagées à l’équipe. «L’idée n’est pas de pointer tel ou tel professionnel, mais de dresser un portrait de la situation pour ensuite trouver des solutions en tenant compte des particularités du GMF», signale la chercheuse en précisant que les médecins acceptent volontiers de partager leurs données, car la finalité n’est pas coercitive. Processus de filtrage et de priorisation des demandes de rendez-vous, gestion plus fine des agendas, implantation d’ordonnances collectives et individuelles pour optimiser et mieux coordonner le travail interprofessionnel, mise en place des principes de l’accès adapté, etc., les solutions à déployer se décident en collégialité et, généralement, elles portent leurs fruits. «En moyenne, les professionnels réduisent de sept jours le délai de leur troisième rendez-vous disponible», signale par exemple Mylaine Breton qui estime que l’appui qu’elle propose aux GMF «devrait être fourni par le réseau de la santé à toutes les cliniques». Elle imagine ainsi que les six indicateurs définis par son équipe pourraient servir à établir un tableau de bord des GMF à travers la province. «Ce serait un bon incitatif, car ça créerait une émulation entre les GMF», considère la professeure. Les meilleurs pourraient bénéficier d’incitatifs pour faire encore mieux, tandis que les moins bons se verraient offrir davantage de soutien en gestion, précise-t-elle.

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