Abbaye Val Notre-Dame, ou le test du silence

C’est un univers discret, feutré, voulu comme un refuge pour fuir les agitations du monde. Bienvenue à l’abbaye cistercienne Val Notre-Dame, dans Lanaudière.L’ex-abbaye d’Oka, fondée en 1881, s’est relogée en 2009 à Saint-Jean-de-Matha. Rebaptisée Val-Notre-Dame, elle campe au pied de la Montagne Coupée, sur un plateau boisé surplombant la rivière l’Assomption. Elle abrite une vingtaine de moines, son hôtellerie accueillant chaque année quelques centaines de retraitants.LumièreBien ancrée dans le paysage, abondamment fenestrée, l’abbaye est en soi une réussite architecturale, fruit d’un concours qui a mobilisé 60 bureaux d’architectes. Pierre Thibault l’avait emporté, entre autres pour la primauté de la lumière et le contact quasi permanent avec la forêt, même de l’intérieur des murs. Surtout, pour l’union harmonieuse du site et de sa vocation, l’architecture reflétant, par son jeu d’ombres et de lumières, le combat intérieur mené dans la quête de soi-même et d’infini qui a motivé, depuis des siècles, des hommes et des femmes à s’isoler du monde.Qui fréquente l’hôtellerie monastique en 2015 ? « Beaucoup de professionnels de tous domaines, des gens qui ont besoin de marquer une pause. Aussi, des infortunés de la vie qui veulent se refaire, certains arrivant en état de crise. À chacun ses motifs », précise à Profession Santé le frère André Gauthier, responsable de l’accueil et des réservations.En ce lieu de repos et de recueillement, dit-il, chacun est le bienvenu. « On accepte tout le monde, en autant que la personne respecte le silence et les horaires des repas. » L’accueil y est une tradition remontant à la Règle de saint Benoît (6e siècle). L’abbaye est en filiation avec celle de Cîteaux, en France, d’où est issu le mot cistercien. L’hôtellerie compte aussi ses habitués.RecueillementDe moins en moins nombreuses, mais toujours aussi remplies, les hôtelleries monastiques au Québec attirent ceux qui résistent à l’obsession de l’époque à vouloir être animés à tout prix, en tout temps et en tout lieu, dans le bruit et les effets spéciaux. Ici règnent plutôt le silence, la solitude, le recueillement et tout est fait pour les préserver. Un séjour à l’hôtellerie comble ainsi, pour la plupart des visiteurs, le besoin de se recentrer; il aide aussi certaines personnes à renouer avec une sensibilité religieuse ancienne.Mais attention, le silence ne se résume pas à l’absence de bruit, avertit le père Yves Girard, 87 ans, accompagnateur depuis 40 ans. À preuve, dit-il, certaines personnes sont incapables de rester 24 heures à l’hôtellerie, tant le climat de solitude et l’absence de stimulations extérieures leur pèsent. « Oui, plusieurs veulent fuir le bruit, mais ils arrivent alors devant un calme qu’ils jugent oppressant. Alors ils paniquent et plient bagage », constate le religieux. « C’est un test pour soi-même, car tout, dans notre société, est fait pour nous distraire de l’essentiel. Or, l’homme est construit pour l’infini, qu’il le veuille ou non; une abbaye existe aussi pour rappeler cette vérité éternelle. »Auteur de plusieurs livres de spiritualité, Yves Girard se tient disponible pour parler avec les visiteurs qui le veulent. « Ni psychothérapie ni religion », s’empresse d’ajouter l’homme qui affirme avoir su résister à la tentation de jouer au thérapeute.Qui, parmi les visiteurs, vient le consulter ? Des gens de toutes les couches de la société, « de l’itinérant au mystique avancé. » La clientèle a beaucoup évolué, selon lui. « Jadis plus uniforme et composée surtout de gens à la vie bien ordonnée, elle est aujourd’hui plus éclatée, avec des êtres parfois déchirés par la quête de sens. »ÉcouteAu fil des rencontres, Yves Girard établit un double constat. D’abord, que la personne qui vit une spiritualité est en général mieux armée pour affronter les duretés de la vie. Ensuite, que la réussite sociale est futile quand elle s’obtient au mépris de l’harmonie intérieure de la personne. « Vraiment, l’homme peut difficilement échapper à lui-même… »« La seule chose dont une personne a besoin, poursuit-t-il, c’est d’être écoutée. » Le moine constate que ce besoin essentiel tranche avec le climat de volontarisme qui imprègne souvent la relation d’aide et la psychologie contemporaines. « Programme, prise en charge, intervenants, plan de soins, ces mots nous mettent dans une posture de supériorité face à l’autre. Pourtant, les gens recherchent d’abord une présence humaine, je le constate. Ils n’ont pas besoin de lumière ou de conseils, mais d’être écoutés. » Et écouter une personne, précise-t-il, c’est lui faire sentir qu’elle a une valeur en soi, c’est porter une juste attention à son mystère et entrer en sympathie avec son récit de vie.ÉpreuvesOn fréquente donc l’abbaye simplement pour se reposer et pour décider de regarder d’un peu plus près tout ce qui passe inaperçu dans une vie trépidante. On y vient aussi pour un questionnement, explique Yves Girard, une réorientation, souvent à la suite d’une épreuve qui interroge la personne sur le sens de son parcours. Quand un coup dur vient bousculer nos plans – problème de santé, perte d’emploi, rupture amoureuse –, il s’agit alors de se donner les moyens d’une éclaircie, ce qui exige de retrouver une disposition intérieure au calme. Alors seulement on pourra mieux abaisser un niveau de préoccupations souvent continu.Les lieux mêmes de l’abbaye invitent la personne à baisser le volume intérieur, à apaiser son brouhaha interne. « Garder le silence. Quel mot étrange ! C’est plutôt lui qui nous garde », écrivait l’écrivain Georges Bernanos. Aller dans un monastère, c’est en effet franchir un seuil, s’ouvrir au-delà du seuil. D’ailleurs, l’abbaye Val-Notre-Dame encourage cette transition, elle qui a délibérément choisi de construire le stationnement des visiteurs à quelque distance de l’hôtellerie, les forçant ainsi à y arriver à pied. Ces quelques pas marquent le franchissement d’un seuil symbolique, encourageant la personne à transiter vers le calme recherché.ModernitéUn peu hors du temps, le monde monastique, certes, mais voilà que la modernité le rattrape, même en plein cœur de la forêt et du silence. L’hôtellerie dispose en effet de la wifi – les visiteurs la demandaient –, mais seulement de 7 h à 19 h. « Intégrer la modernité en préservant nos valeurs fondamentales, voilà tout le défi de la vie contemporaine. Nous utilisons la techno, mais sans en devenir esclaves. Apprendre à maîtriser une chose, n’est-ce pas aussi une forme moderne de discipline ? », demande le frère André Gauthier.À l’instar du silence menacé dans notre société agitée, l’univers monastique constitue un monde qui s’efface doucement. Au Canada, 94 % des religieux et religieuses ont plus de 60 ans. Une génération s’en va, la relève n’est pas au rendez-vous. « Pour nous, il ne s’agit plus de faire nombre, mais de faire signe. Nous sommes là pour témoigner de l’Autre », conclut le moine. « Cet Autre, nous le nommons Christ, mais le visiteur, lui, peut l’appeler comme il voudra ! »Hôtellerie Val-Notre-Dame14 chambres; prix suggéré : 50 $/nuitée, comprenant trois repas;ouverte sans condition, sous réserve de ne pas déranger les autres.La personne peut choisir de participer, ou non, aux sept temps de la prière communautaire, qui rythme la vie monastique;Magasin de produits monastiques et du terroir;L’abbaye bénéficie des plus récentes technologies vertes : chauffage par géothermie, toit vert sur une partie des toitures, système de drainage récupérant l’eau de pluie, technologie d’efficacité énergétique, recours au marais filtrant (roseau épurateur) pour épurer les eaux usées.

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